Un bruit du verre qui se fracasse le tire brusquement de sa lecture nocturne. Il se demande, pendant un court instant, si ce son n’est pas que le fruit de son imaginaire fertile, combiné au manque de sommeil qui résulte de ses insomnies. Il tend l’oreille, attentif aux moindres mouvements qui se déroule de l’autre côté de portes doubles de sa chambre. Des pas, rapides, voir empressés, se font entendre, et ses sourcils se haussent, creusant un pli dans son front. Refermant le manuscrit, il le dépose sur la table basse avant d’aller jeter un coup d’œil à la curieuse action qui anime le couloir à une heure aussi avancée de la nuit. Il a à peine le temps d’ouvrir la porte qu’un domestique, paniqué, s’élance vers lui. « Sortez, monsieur Freidrich. Quitter immédiatement le manoir. Il en va de votre sécurité. » Il le pousse fermement, mais sans le brusquer, vers les marches donnant vers l’entrée principale, d’où s’échappe une intense fumée. La situation est pressante. Il ne voit pas les flammes, mais leurs crépitements ne laissent aucune place à l’interprétation. Aksel tend la main pour le rattraper, mais l’homme s’éloigne vers une autre aile de la résidence familiale, afin d’aller prévenir les siens. Ses parents, et ses oncles et tantes qui dorment encore tous paisiblement, sans se douter du drame qui se joue sous leur toit. N’écoutant que son instinct, plutôt que de fuir, il s’empresse d’aller frapper à la porte de la chambre de sa sœur, voisine de la sienne. Sans réponse de sa cadette, il ordonne à un domestique de défoncer la porte de celle-ci, et c’est sans vergogne qu’il la tire abruptement du lit, la tirant derrière lui sans lui laisser le temps de s’éveiller complètement, alors que les deux s’échappent vers la sortie de leur maisonnée où ils seront en sécurité. Les flammes, vives dans cette nuit noire, caressent les murs du manoir, et embrassent les tissus des rideaux ornant les fenêtres, les réduisant en cendres, poussières rougissantes qui enflamment, peu à peu, les meubles et le tapis qui couvrent ce plancher de marbre où se reflètent ces lueurs orangés. Le hall n’est qu’à quelques pas de courses lorsqu’Aksel sent la main de sa sœur se défaire de son emprise. Elle fait demi-tour, laissant entendre dans un murmure qu’elle ne peut pas quitter sans… sans quoi, il l’ignore. Dans la panique des cris qui se font entendre, sa voix semble si faible. Elle s’échappe, retournant vers les marches qu’elle grimpe en vitesse pour retourner vers leurs appartements qu’ils ont laissés derrière eux. « Selina ! »  Il serait partit à sa suite si une main ne s’était pas fermement refermer sur son bras, l’obligeant à faire volte-face. « Aksel, sort immédiatement. Les domestiques s’occuperont de ta sœur. » Son paternel, même en tenue de nuit et les cheveux en bataille, impose le respect, et même si tout son être lui intime de courir à l’étage pour récupérer sa sœur et la mettre en sureté, il acquiesce à son géniteur, s’éclipsant vers l’extérieur avant que le brassier ne prenne de l’ampleur. Brassier qui consuma l’entièreté de leur manoir, emportant avec lui bien plus que leur propriété. En cette sombre nuit, c’est presque l’entièreté de ses proches que les flammes lui ont arrachés.



Il n’avait point réalisé, avant aujourd’hui, le véritable impact que cette tragédie avait eu sur sa vie. Le regard condescendant de son père, qui le scrutait à la loupe, depuis le début de leur entretien, lui pesait. Presque autant que celui de sa tante, main de l’impératrice, qui n’avait point quitté ses grands airs sérieux. « Es-tu bien conscient des enjeux qui repose sur tes épaules, mon fils? » lui demanda son paternel, et Aksel acquiesça d’un signe de la tête. « Oui, père. » Oui, il réalisait que la descendance de sa famille, et la survie des Freidrich, se résumaient en son existence, et en son union prochaine avec une fille de bonne famille. Des fiançailles planifiées depuis la nuit de temps, qui prenait soudainement une toute autre importance. Son couple, son mariage, sa vie maritale devenaient un enjeu de société, et son unique devoir, aux yeux de siens, serait de donner un héritier mâle afin que la lignée se poursuive. Peu importe ce qu’il accomplirait dans sa vie personnelle et professionnelle, plus rien n’aurait autant d’importance que ce petit être donc l’existence même était des plus incertaines. « Puis-je être excusé, père? » Ce dernier acquiesça, et il s’échappa rapidement de l’emprise de deux seuls parents qu’il lui restait pour aller s’enfermer dans ses appartements, ou plutôt ceux qu’on lui avait octroyés au palais impérial, où il logeait. Fermant les portes à double tour d’un simple geste de la main, il se dirigea vers l’armoire où trônait une bouteille de scotch. Sa main tremblait alors qu’il s’en servait un verre, dont il vida rapidement le contenu pour s’en offrir un second. Le jeune homme rencontra son reflet dans le miroir qui lui faisait face : son regard s’était éteint, depuis cette nuit, et des cernes creuses se dessinaient sous ses yeux. En quelques jours, voir même semaines, il avait l’impression d’avoir vieilli de dix années, et son visage le lui renvoyait bien. Son manque d’appétit et son soudain intérêt pour l’alcool n’aidaient en rien à la situation. Tous les soirs, il avait prié l’Ours afin de qu’Il lui apporte des réponses lui permettant de comprendre les raisons de ce drame. Mais rien ne vint. Pour l’une des rares fois dans sa vie, il s’était sentit trahi par son dieu. Ces réponses, il allait devoir les trouver lui-même.  Les coupables allaient payer, il s’en était fait la promesse. Et personne n’allait l’en empêcher.