Tout cela n’a même pas encore commencé pour elle. La Bavière a défilé face à son indifférence, tes mots ont glissé dans son esprit comme une rivière dans laquelle elle se baigne. Toi elle t’écoute encore. Pas même neuf ans et déjà elle fait fermer leur gueule à la plupart des gens. Le sang pourpre mêlé à l’or des couronnes, fussent-elles déchues, est bien souvent intenable. Quelle arrogance on y trouve, et pourtant tu ne t’en formalises pas, tu es un des heureux élus que celle-ci tolère. Tu ne lui racontes pas comment se passent les choses à Goldadler, elle sait déjà tout, tu as eu des semaines et des semaines pour exposer chaque détail de tes deux dernières années. Années que tu as détesté. Ils t’ont brisé, ils t’ont fait comprendre qu’un mêlé n’était bon qu’à servir, ils t’ont parqué dans cette chambre humide, deux ans à traîner en groupe avec des impurs parce que les autres vous regardaient de haut. Le pire, deux ans sans elle, à ne la voir que pendant les vacances. Comment la protéger quand elle est si loin ? Comment s’endormir sans savoir qu’elle n’est pas loin ? Comment survivre sans lui parler ? Tu as pleuré des rivières en secret. Tout est fini maintenant, elle est là. Les étoiles dans tes yeux ne sont égalées que par celles que sont ses yeux. « Regarde tu seras là toi. » Tu es collé à elle pour arriver à lui pointer du doigt la plus haute tour du château qu’on aperçoit maintenant au cœur des montagnes. La voiture s’arrête dans un crissement de gravier devant des grilles savamment forgées. Soucieux de tes bonnes manières, tu cours en sortant du véhicule pour aller ouvrir la portière à Micaëla de l’autre côté. Bon, elle l’a déjà fait mais tu peux au moins lui tendre la main pour qu’elle en sorte. Quelques autres jeunes sont là aussi, attendant de faire le chemin pour rentrer dans la bâtisse. Tu connais la plupart de nom, tu es calé sur les familles pures. Un d’entre eux vient d’une famille que je ne mentionnerai pas (je ne voudrais pas dénoncer mais il y a un loup dans leur nom et ils abhorrent les Monaci, si vous trouvez quelle famille c’est vous aurez une encyclopédie Larousse. A vos buzzers.) et tu le détestes déjà. Il a un ou deux ans de moins que toi seulement. Il te méprise. Tu le méprises en retour, sans avoir malheureusement le sang de ton côté pour t’aider. Qu’importe, tu as la hargne. « Comment ça va le mêlé ? Tu comptes te cacher dèrrière la Monaci ? Je savais bien que tu étais comme tous les mêlés, un petit lâche qui a besoin de vrai pouvoir. » Mais enfin mais quelle violence gratuite… Alors que tu n’as rien fait pour mériter ça. Enfin rien fait là tout de suite, disons que tu lui as juste lancé un regard facilement déchiffrable et que ce n’est pas la première fois que tu te frottes au gamin. « Contrairement à toi je suis pas une tapette non ! » Je trouve qu’il y a toujours un certain niveau de poésie quand deux gamins se cherchent la merde. C’est très, très drôle à voir et à entendre, surtout avec les voix de pré-pubères. Enfin, ce n’est pas très important. « De toute façon je suis sûre que même elle elle est trop nulle pour te protéger. » Il me semble inutile de rapporter chaque ligne de ce dialogue Shakespearien ici-bas, il vous suffit juste de savoir que les insultes montèrent crescendo avec la participation de Micaëla Monaci – que même à ce tendre âge on n’a jamais connu pour se retenir de violence – jusqu’à une phrase fatidique de la gamine. « Vas-y Klaus. Défonce-le. » Elle était encore moins polie à cet âge que maintenant. C’est que les enfants se sentent plus grands en jurant. Et toi tu n’hésites pas une seule seconde. Tu te jettes sur le petit brun sans un bruit, le poussant à terre. Son crâne heurte violemment le sol, le sonnant. Après quelques coups de poings dans sa bouche tu te relèves, le laissant dans la poussière. Tu commences à asséner des coups de bottes dans ses côtes et l’enfant crie. Tu n’as pas besoin de magie pour le battre de toute évidence – du moins jusqu’à-ce qu’il reprenne ses esprits – mais tu incantes tout de même à voix basse. Un monceau de terre vient s’écraser sur son visage avant que tu ne lui tournes le dos. Tu l’entends tousser et cracher derrière toi, presque étouffé sur le coup. Personne n’est venu s’interposer. Tu paieras pour cet acte et tu le sais très bien mais qu’importe. Une main posée sur ton épaule, la petite Micaëla sourit. « Merci. Il l’a bien mérité. Ça lui apprendra. » Un grand sourire à dents manquantes illumine ta face aussi. « De toute façon même s’il l’avait pas mérité j’laurais fait. Tu me l’as demandé. » Et Dieu sait que tu le referas dans le futur, tant de fois que tu ne les compteras plus. Au service d’une furie tu n’as pas peur de jouer des poings ou de l’épée. Tu n’es peut-être qu’un serviteur mais tu montreras les dents.