neuf ans || C'est le chaos. Des cris un peu partout et le désordre qui s'enchaîne, à droite, à gauche. Personne n'est à l'abri d'une attaque lancée à l'improviste, et les stratégies vont bon train quand il s'agit d'obtenir vengeance. Aerys ignore comment les choses ont pu dégénérer à ce point. Non, c'est faux. Il le sait très bien, en réalité. Cela fait des années que ça dure, désormais. Un jeu d'où personne ne sort vraiment vainqueur, si ce n'est pour les sourires en coin et le regard désapprobateur et exténué de leurs chers géniteurs. Les rires allègres de sa soeur suffisent à réchauffer son coeur, tandis qu'elle le poursuit, dans une vaine tentative de le rattraper. Déjà si jeunes, et si pleins de vie. Encore une farce qui a mal tourné. Le quotidien haut en couleurs qui berce désormais la vie des Vanheycke. Une routine dont se passeraient bien certains membres de la famille, toutefois. L'un des problèmes majeurs qui sévit, lorsque que tout le monde réside sous le même toit. Moeurs quelque peu encombrantes qui constituent la culture des sorciers. Mais malgré le désordre qui règne, c'est bien une ivresse euphorique qui habite chacun des Vanheycke. Un tableau rayonnant, sans aucune ombre au tableau - celles-ci ayant été balayées d'un revers de la main.

onze ans || Les murs froids de la pièce lui font grincer des dents, et ses mains tremblent sous son épaisse couette. Le confort est tout autre, sous les montagnes, et le mêlé regrette amèrement la chaleur et la douceur de ses draps, dans sa chambre, à Berlin. A cinq mètres de lui, il peut entendre ses camarades grelotter dans leur sommeil. Il hait ces conditions de vie, et le mal du pays le gagne. Ses parents lui manquent. Et les longues nuits à contempler le ciel en compagnie de ses cousins ne semblent que de lointains souvenirs désormais. Certes, tous continuent de se fréquenter à l'académie, mais ce n'est pas la même chose. Tout est différent ici. On le juge, on l'humilie. L'atmosphère est toxique et, de nombreuses nuits durant, lorsque le sommeil le gagne, Aerys se surprend à suffoquer. Il ne veut plus de tout cela. Malheureusement, de son âge, le mêlé ne peut y faire grand chose. Dans ce silence étouffant, le sorcier ne ressent pas le calme que l'on voudrait lui inculquer. Ici, tout n'est que trépas. Promesse envolée et espoir ankylosé. A seulement onze ans, Aerys a l'impression d'être un prisonnier, qui s'effondre, et s'écroule, inerte.

douze ans || Les lèvres de nouveau en sang et un oeil au beurre noir, il continue néanmoins de frapper, peu importe les coups qu'il reçoit en retour. Impulsif, tenace, il ne recule jamais. Aerys ne baisse jamais la tête, ne fuit pas l'adversité. Fierté orgueilleuse qui lui vaut bon nombre d'ennuis, mais également la reconnaissance de ses pairs. Qu'importe les blessures et la douleur qui s'ensuivent, il s'acharne, les poings levés et le regard brillant d'une détermination nouvelle. Son adversaire ne s'avoue pas vaincu pour autant, et, de nouveau, les insultes fusent. La violence ne résout jamais rien, sa mère lui disait souvent, enfant. Pourtant, cela ne l'empêche pas d'exister,  ne cessant de créer toujours plus de conflits. Le mêlé fait fit de sa position dans le monde, et ose braver le monde plus hostile de ceux qui vivent au-dessus. Ces nobles qui osent se vanter et les regardent de haut. Ces purs qui se pensent affiliés au divin, crachant sur ceux dont le sang n'est qu'un affront, tels des insectes à exterminer. Ce n'est pas seulement pour lui qu'il se bat. Mais pour tous ceux qui, au contraire de lui, ne parviennent à s'imposer à cause de leur statut. Comme sa cousine. Myrcella ne mérite pas ces paroles venimeuses. Ce poison qui sort des lippes infâmes de ces mêmes sangs purs, qui passent leurs temps à la dévaloriser et à l'abaisser. Les Vanheycke, malgré leur fortune, n'échappe pas à la règle. Des sang-mêlés, dont l'existence porte atteinte au bien de la communauté. Agonie lente et blasphématoire, dont ils ne sont que les instruments profanes.

Ce soir, Aerys repartira avec le visage boursouflé, mais avec les épaules hautes. Et Goldadler ne pourra se vanter de l'avoir restreint dans sa progression. Un Vanheycke paie toujours ses dettes, qu'importe le prix.

---

dix-sept ans || Aerys continue de se battre. Mais les poings se lèvent moins fréquemment, au contraire de sa voix. Son sourire et son éloquence suffisent généralement à mettre fin à tout différend. Au fil des années, il a su affiner ses paroles, et ses mots, de manière à ce que tous l'écoute, et que tous l'admire. Quelques sangs purs restent réfractaires, mais ces derniers préfèrent généralement l'éviter ou tout simplement l'ignorer. Il n'ignore pas quel est sa position dans le monde, mais la richesse et la notoriété de sa famille ont au moins cet avantage de lui donner une image plus favorable aux yeux des puristes. Là où beaucoup préfèrent raser les murs pour éviter d'attirer l'attention, Aerys sait se servir de sa différence pour enjouer les foules et se faire un nom. Le chemin vers la popularité est long et périlleux mais il est sur la bonne voie, malgré les médisances de certains, qui souhaiteraient le museler une bonne fois pour toute. Mais sa fierté l'empêche de baisser les bras. C'est ainsi, c'est plus fort que lui. Alors, il persévère, et finit par avoir le dernier mot bien plus souvent qu'avant. Il arrive encore, que certaines nuits, il doive recourir à la violence, mais ces occurrences se font de plus en plus rare. Cela ne l'empêche pas de jouer les gardes du corps pour le reste de sa famille. Etant l'aîné, l'on attend beaucoup de lui. Protection, fierté, et accomplissement. Et malgré son jeune âge, il entend bien  mener ses attentes à bien.

vingt-trois ans || Aerys refuse de comprendre. A quoi bon ? Ce n'est pas comme si les choses allaient changer de si tôt. Il a pourtant du se faire à la raison. Les choses sont disparates quand il s'agit de cet autre monde - celui des humains, des non-sorciers. Un amour tel que celui qui l'anime ne peut tout simplement pas coexister avec les idéologies moyenâgeuses des sorciers. Cette attirance qu'il doit rejeter et annihiler sous peine d'être rejeté, en plus de son infériorité magique déjà bien compromettante. Alors, il serre des dents et se tait - pour la première fois de sa vie. Son coeur crie à l'agonie, mais sa conscience le fait taire. Pour le bien de sa famille, et pour lui aussi, un peu. Quand il compare le monde chez les humains, il se dit que les choses sont parfois bien meilleures. Le temps des tolérances est révolu, et l’approbation prend le dessus. Ce qui n'arrivera pas chez les siens. Ainsi, il se tait, et vit dans un monde de faux semblant. La journée seulement. La nuit tombée, ses bras viennent trouver ceux, plus accueillants, de ses voisins et voisines, plus humains, mais dont l'absence de magie ne peut combler entièrement ses ambitions. Il est parfois bien plus facile de jouer que de s'impliquer. Cela évite les peines de coeur. Et les espoirs éphémères, impossibles.

vingt-sept ans || Preuve que l'audace et la témérité peuvent vous amener où vous le souhaitez. Abandonnant derrière lui des années de travail acharné à jouer les sbires pour des nobles plus qu'impitoyables, il se sent enfin fier de tout ce qu'il a accompli. Tout le travail fourni aura enfin porté ses fruits, finalement. Aerys n'a pas de doute que tous les journaux du pays vont s'emparer de l'histoire pour en faire leur chou gras. Et il en rit intérieurement. Mais ce n'est pas seulement pour voir les regards accablés et susciter l'émerveillement et les critiques qu'il fait ça. C'est avant tout pour lui. Afin de prouver qu'un homme de sa position, de sa nature, peut également atteindre des sommets. Comme ses parents avant lui, le mêlé a su tirer profit de ses compétences et de sa forte impudence pour accéder à une carrière importante. Directeur de banque, si ce n'est que la Volbank. Un rêve bien plus qu'une fantaisie enfantine. Pour la première fois de sa vie, Aerys peut bel et bien proclamer qu'il a surpassé les années de diffamation à son égard.

trente ans || Il continue d'affronter les critiques sans sourciller, papillonnant de droite à gauche, comme il le souhaite.  Trois ans dans le métier n'auront pas suffi à le faire douter, ni même à le faire reculer. Pire encore, c'est une ténacité bien plus vivante que jamais qui l'anime. Menant son train de vie comme il l'a toujours fait, l'assurance d'un travail stable lui ouvrant de nouvelles portes en mains. Intraitable, implacable, certains en mettraient même leur main à couper, tant il parait crédible en sorcier de sang pur. Même s'il n'en est rien. Et bien que ses incantations soient bien moins puissantes, son franc parler fait le reste.

Il contemple la bague à son doigt, promesse éternelle qui le lie à une autre. Une sang mêlée, elle aussi. Tous deux esclaves de leur condition, que l'on a fiancé, sans même demander le consentement. Au contraire de beaucoup, nonobstant, les futurs époux ont toujours été amis, à défaut d'être amants. C'est bien la raison pour laquelle les fiançailles ont été si rapides à accepter pour Aerys. Ils se chamaillent comme un couple, et sont aussi proches qu'un frère et une soeur, sans jamais partager la même couche. Et à leur âge, la pression est forte sur l'un comme sur l'autre, mais ils ne baissent pas les bras. Chacun est libre d'aller voir ailleurs, liberté est maître mot dans leur relation, qu'ils sont bien les seuls à comprendre. C'est peut-être ça, la clé du bonheur, en fin de compte.