Les flammes crépitaient dans l'âtre de la cheminée. Elles dansaient, flamboyantes, tentatrices. Tantôt rougeâtres, tantôt bleutées. De sa main, Josef s'employait à les faire changer de couleur et d'intensité, confortablement installé dans son fauteuil boisé en velours bordeaux. À y regarder de plus près, on avait presque envie d'y mettre les mains dans ce foyer brûlant. La sensation de chaleur qui lui parcourait l'échine semblait l'apaiser. Il était pensif, songeant à son futur et à celui de sa famille. Cette branche des Fuchs était l'une des rares à pouvoir se vanter d'être aussi soudée. Il songeait à ses soeurs, à ses frères, pour qui Père et Mère s'affairaient à leur trouver un bon parti. Son propre cas avait déjà été discuté, et Josef savait pertinemment que l'annonce de ses fiançailles n'était plus qu'une question d'heures. Il avait quelques idées sur l'identité de sa future épouse, mais aucune de ces femmes n'avait réussi à retenir son attention. Le dîner de ce soir lui apporterait la réponse tant attendue.

Perdu dans ses pensées, il fut bien vite rattrapé par la réalité quand les flammes commencèrent à s'agiter avec vivacité sans qu'il ne puisse rien contrôler. Elles virèrent presque aussitôt à un ton rouge orangé vif, crachant des petits jets de flammes qui firent lever vivement Josef. Il fit volte-face, sa grand-mère maternelle faisant son entrée dans la pièce. Le jeune homme esquissa un sourire et entreprit une salutation respectueuse à l'encontre de celle qui, assurément, occupera toujours la place de première femme de sa vie. Elle avait le don de ne jamais s'annoncer et de surprendre sa progéniture dans les profondeurs abyssales de ses pensées.

Ce soir, Josef allait être fixé sur son sort. Au fond de lui, il trépignait d'impatience à l'idée de connaître le nom de sa future fiancée, mais on lui avait appris à ne jamais rien laisser paraître. Cette prestance et cette pudeur presque hautaine, il la tenait de sa grand-mère, Constanze, qu'il se plaisait à surnommer parfois La Duchesse Constanze. Cette dernière était particulièrement proche de son petit-fils et fondait en lui ses plus grands espoirs; des espoirs de grandeur, de réussite et de reconnaissance. Il tenait d'elle sa ténacité, sa sévérité mais également sa capacité à cracher son venin en toute élégance.

— You should get some rest my dear, you look appalling. But at least, everyone knows my grandson is the pride of our family, one of the most desirable bachelors of the whole kingdom - a bachelor who is to be engaged in a few days.

Cette révélation ne l'étonnait guère; il savait pertinemment que Constanze n'avait pas pu rester en dehors de ces manigances.

— Your father is a clever man. He seemed rather pleased with the idea I slipt in. I'm sure the poor girl will be a lovely match for you – if you know how to handle her, of course. But there is no need to worry about it now. I'll be there to give you some advice on the subject. I was very good when I was young.

Josef savait également qu'il était vain de poser des questions. Bien sûr qu'il avait une terrible envie de connaître l'identité de cette fille, mais il était de notoriété publique que Constanze n'était pas une dame à qui l'on posait des questions; si elle avait des réponses à donner, elle les donnait d'elle-même.

— Josef, we cannot afford to be publicly shamed, stripped of our dignity and facing ennemies at our door step if you get caught shagging men. Rumors and gossips, that's all what they should get. Understood?

Le jeune homme leva les yeux au ciel en guise de (vaine) protestation. Constanze s'avança vers l'héritier et tendit son bras.

— Walk with me to the dinning room. No need to speak.

Il s'exécuta, silencieux, tandis que les domestiques du manoir familial s'affairaient à leur ouvrir les portes au fur et à mesure de leur ascension dans les pièces du domaine. L'écoute était une autre des qualités que Constanze lui avait inculquées.

— You'll learn this evening that you will be engaged to Lady Lyssa Feuerbach – but, obviously, you didn't learn it from me. She is the youngest sister of Lady Magdalena Feuerbach, your cousin's fiancee, which is quite funny as he'll become one day your brother-in-law. Those ramifications are exquisite, aren't they? Anyway, she seems to be a very nice girl, a little shy perhaps, but still waters run deep. This alliance will determined our future. The Feuerbach and the Fuchs have always stand for the Lions. And you will as well, as the one true heir, but you'll keep in mind our own business. The fox does know when to escape from the battle, right? Conclut-elle, sourire aux lèvres, avant de lâcher le bras de son petit-fils pour faire son entrée dans la grande salle de réception où la table avait été dressée pour l'occasion.





Vêtu d'un costume anthracite, Josef sortit de l'hôtel privé après son client, talonné de près par son assistant juridique qui tenait une sacoche en cuir. Tous deux pénétrèrent dans la berline noire qui les attendait et celle-ci s'engagea sur la route aussitôt les portes fermées, suivant la voiture devant eux. Il n'était pas rare que le jeune avocat se rende dans des lieux somptueux pour y rencontrer ses contacts. Les quelques curieux qui observaient firent bien vite demi-tour alors que les vitres teintées de la voiture remontèrent lentement, cachant définitivement le visage des protagonistes. À l'intérieur, après qu'il eut terminé une énième conversation au téléphone, Josef tourna la tête vers son assistant. C'était sa place il y avait encore de cela six mois. En six mois, le Fuchs était devenu celui que tout le monde attendait qu'il soit, un homme de terrain et d'affaires aguerri à l'image des grandes familles pures. Il se comportait en parfait petit poulain dans cette société mondaine où le paraître, le sang et les mariages arrangés définissaient la vie ou la mort d'un individu. Une société qui ne l'épargnait pas : un seul faux-pas et il était réduit en charpie par ces requins. Sur les bons conseils — pour ne pas dire directives — de sa grand-mère Constanze, Josef avait su aiguiser ses armes.

— You made the greatest effect yesterday at the charity gala with your wedding announcement with Lady Feuerbach. However, the Lindeberg and the Rosenwald may not appreciate this good match. S'enquit son assistant alors qu'il lisait les dernières nouvelles dans la presse sorcière et humaine.
— That's a good thing. We want them not to appreciate it. But you're not paid to give me personal advice. How much time do I have before my next appointment?
— It's already half past seven. Shall I cancel your dinner with this journalist?
— No need for it, I'll be on time. I just have something to settle before.

[...]

Josef pénétra dans la chambre d'hôtel, suivi de Wolf qui referma aussitôt la porte. Le trentenaire retira ses gants en cuir et posa son imper et sa veste de costume sur le double lit. Il déboutonna les manchettes de sa chemise et en replia les manches, comme pour casser un peu cette image de type tiré à quatre épingles.

— Himler told me that you've been with her yesterday night, but you didn't tell me. May I have an explanation?

Josef ne supportait pas les crises de jalousie de Wolf. Il ne supportait pas que celui-ci lui reproche d'être au bras d'une femme alors qu'il était lui-même fiancé. Le jeune Fuchs ne comprenait pas comment il avait fait pour en arriver là. Il avait été assez idiot pour se lancer dans une histoire interdite et ne plus pouvoir faire machine-arrière aujourd'hui par peur des représailles. L'homme qui se tenait en face de lui avait, semble-t-il, la main-mise sur lui. Et cette idée ne plaisait absolument pas à Josef. Cette idée le mettait hors de lui.

— Your little spies are tailing me now? You're going way too far, Wolf. Careful.
— You made me do this. As for your vale threats, I...
— What vale? L'interrompit-il sèchement. I should've known you would be a danger for me. But our feats are joined. Together, we have been unfaithful to our fiancees and have conspired against the Rosenwald. If my house should fall, I would have nothing to hide. And if I shall meet with some accident, that you or your fellow companions may be involved in, your family will never even find what is left of you.

Un long silence s'installa. Bien sûr que Wolf le faisait suivre. Il n'avait pas envie que quelque chose lui arrive. Avec toutes les affaires dans lesquelles baignait Josef au nom de sa famille et de cette guerre sainte entre les familles pures, c'était une évidence de protéger celui qu'il pensait posséder. Pour autant, jamais il n'avouerait une telle chose. Ce serait se montrer faible. Et il n'était pas faible. Certainement pas face au Fuchs. Et ce qu'il venait de voir à l'instant-même lui donnait la chair de poule; pour la première fois avec lui, Josef avait été agressif, indépendant, tranchant.

— I hope you enjoyed your night at least.

Josef plongea ses yeux froids et durs dans ceux de Wolf. Les sens du Fuchs étaient en alerte. Il avait la chair de poule rien qu'en mêlant son regard au sien. Il y voyait une multitude de choses, une passion inconcevable et traîtresse, un sentiment qui pouvait le faire sombrer. Josef mettait ses projets et la vengeance de sa famille en péril pour les beaux yeux d'un homme. Wolf fit un pas en avant. Josef en fit un en arrière. Sans crier gare, le trentenaire agrippa avec force les poignets de Fuchs pour le rapprocher de lui.

— That's the last time you hide something from me. Understood? The last time.

Il lâcha prise, laissant Josef libre de ses mouvements. Reprenant ses gants, sa veste et son imper au passage, Wolf ouvrit la porte de la chambre et passa le seuil, quittant la chambre d'hôtel en y laissant derrière lui le jeune poulain des Fuchs.





L'imposante horloge en ébène d'un noir de jais et à l'armature d'or sonna minuit. Enfoncé dans son siège à la manière d'un vrai homme d'affaires, les jambes croisées, feuilletant attentivement le dossier qu'il avait entre les mains, Josef releva le chef pour observer l'objet qui venait de le sortir de sa frénésie professionnelle. Il balança le dossier sur son bureau, également taillé dans de l'ébène noir, et porta ses mains à son visage, comme pour tenter de faire disparaître les marques de fatigue qui commençaient à apparaître. Il avait perdu toute notion du temps et ne savait pas depuis quand il était entré ici. Il décida cependant qu'il en avait assez fait pour aujourd'hui. Les prochains dossiers pouvaient attendre le lendemain matin.

Ses quartiers personnels dans le manoir familial de Stuttgart, où il se trouvait présentement, étaient décorés avec goût et raffinement. Josef aimait le luxe. Il aimait les belles choses. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle il s'était si souvent demandé s'il allait un jour aimer Lyssa Feuerbach. Allait-il éprouver des sentiments amoureux pour elle ? Était-il attiré par elle ? Était-il seulement attiré par les femmes de toute manière ?

Ses yeux perçants toisèrent les aiguilles de l'horloge qui indiquaient minuit passé. Il n'était pas question d'aller dormir. Il avait bien trop de choses en tête pour espérer dormir paisiblement. Les temps qui courraient étaient incertains. Être constamment sur ses gardes était quelque chose que Josef avait assimilé. C'en était épuisant, il le reconnaissait volontiers, mais sa survie et celle de sa famille en dépendait. Les seuls moments de répit qu'il s'accordait étaient auprès de sa grand-mère, de sa soeur Ulrike ou même de Wolf.

Après être resté quelques minutes à observer l'horloge, perdu dans ses pensées, Josef se leva et la porte de son bureau s'ouvrit sans qu'il ait besoin de formuler son sortilège. La porte se referma derrière lui, les verrous s'enclenchant automatiquement, scellant magiquement l'entrée de ses quartiers. Il entreprit son ascension dans les couloirs. Ses pas assurés résonnaient dans le dédale de couloirs qui menaient jusqu'aux quartiers du frère dont il était le plus proche. Lorsqu'il fut arrivé à destination, il frappa trois légers coups bien distinctifs sur une porte sombre. Cette dernière s'ouvrit doucement, dévoilant l'intérieur des quartiers de Gustav. Il pénétra dans ces lieux à la lumière tamisée, refermant la porte derrière lui avec la plus grande discrétion. Là, assis à son bureau, Gustav releva le chef, peu surpris de voir son frère à une heure aussi tardive. Les trois coups à la porte étaient bel et bien distinctifs. Josef était vêtu d'un pull à col roulé noir et d'un pantalon de costume anthracite. Il s'approcha lentement, laissant ses doigts courir sur les recoins des meubles avant de s'arrêter et de prendre place dans un des fauteuils. Il posa ses bras sur les accoudoirs et croisa les jambes, toisant son interlocuteur.

— What if Lyssa is an awful bitch with me once we get married?

Gustav laissa échapper un petit rictus.

— As if you won't be able to seduce her. You'll be enough for her, Josef. You're a Fuchs. If her father agreed to this alliance, that's because he knows it's worth it. You're right, there is a risk she doesn't love you. But do you think you'll love her in return?

Josef resta silencieux. Bien sûr que non, il ne pouvait décemment pas assurer une telle chose. Un tel mariage, tel que tous le concevaient chez les sangs purs, menait rarement à la naissance de sentiments amoureux.

— I shall think of it as a business deal, if not a love story.
— If she's not a fool, she'll stomach that. Her family needs us as much as we need them. It'll work out.

Un nouveau silence s'installa. Gustav esquissa un sourire entendu.

— Why do you come here for advice when you already have the answers to your questions?
— I needed to be sure that we're all on the same track.
— You're checking on me, right?
— Always. You're my little brother. The blood of my blood.
— So, let's imagine she's an awful bitch once you get married... What will you do?
— I guess I will need to take it to the next level. I don't have time to be a fool. Surely, she doesn't have time to be one either. She will endure me and our mariage. She may hate me, she may feel disgusted, she may vomit on her own time... I won't be caring if she's not working with me. She'll stand by me, she won't have a choice, and surely her family won't let her have it either. She'll do her job because we all have a part to play in this if we don't want to die. But that's just the scenario for an awful bitch. If she's keen to play along, everything will be fine.