Là où certaines se mouraient d'amour, de passions dévorantes, Marzia se laissait faucher jour après jour par la lassitude. Par une vie qui, si elle lui convenait à merveille et la comblait, n'était pas complète. Il manquait quelque chose, il manquait toujours quelque chose.
L'on lui avait dit que les fiançailles l'aideraient à combler ce manque, mais il n'en était rien. Marzia restait à contempler sa propre existence passer, à attendre quelque chose dont elle ne connaissait même pas le nom. Quelque chose ? Ca n'était peut-être qu'un caprice – probablement, même; ça n'était peut-être qu'une connerie de plus pour jouer les malheureuses. Marzia ne manquait pas d'amis, certainement pas d'argent. Un claquement de doigts lui apportait le moindre de ses désirs, tout ce dont elle aurait rêvé. Ça n'était pas ça. C'était autre chose, qu'elle voulait. Tout ce qu'elle ne connaissait pas. Ce que ne lui apporteraient ni les fiançailles ni même le mariage – Marzia voulait plus, parce qu'elle savait qu'elle n'aimerait jamais cet homme auquel on l'avait promis. Marzia voulait se noyer dans l'existence-même de quelqu'un, plonger si profond qu'elle n'en reviendrait jamais. Elle voulait ce qu'elle n'avait pas, bêtement, comme une gamine voulait la poupée de sa voisine.

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Les rayons du soleil naissant passaient à travers les fenêtres sans rideaux, illuminaient aléatoirement la grande pièce avec un air divin. Marzia souriait doucement, avant de reporter son attention sur les échantillons disposés sur la table face à elle. Elle se balançait sur ses talons, bras croisés sur sa poitrine. Je veux les rideaux prune, en velours. Avec... Elle tendit un doigt, hésitant un instant, cherchant à travers les différentes propositions avant d'effleurer un motif en fils d'or. Ce design. Je veux le même sur les tables du buffet. Elle le posa de côté, à l'écart des autres, avant que son regard ne se pose sur un échantillon de tissu des plus laids. Qu'est-ce que... par le saint Lion, qui exactement vous a dit que cette chose était une bonne idée ? Marzia haussa un sourcil, jetant un regard interrogateur à l'autre. Sortez ça d'ici, ça n'a rien à faire dans les préparatifs d'une telle soirée. Tout se devait d'être parfait, et elle n'admettait pas qu'il en soit autrement – sa cousine, pour qui elle travaillait depuis quelques temps, le lui avait bien fait comprendre. Cette entreprise d'événementiel se devait d'être la meilleure du Royaume, voire des royaumes voisins; leurs soirées, somptueuses comme l'avaient toujours été celles des Monaci, devaient surpasser les précédentes à chaque fois. C'est pour ça que Marzia était là, faire le meilleur.
Slalomant entre les tables d'échantillons, elle arrivait devant quelques arrangements floraux qu'elle avait fait venir. Distraitement, elle repositionna un bouquet de travers dans son vase. J'aime bien celui-ci. Il ira à merveille pour la fête; qu'en pensez-vous ? Elle jetait un regard à l'autre qui hochait la tête sans en rajouter. Marzia ne laissait aucune place au hasard; elle n'avait que vingt-quatre ans et n'était une experte en rien pour le moment, mais son attitude laissait croire le contraire. Elle avait toujours étudié en détail les réceptions dans lesquelles elle était obligée d'aller, et elle s'en félicitait à présent. Elle comptait bien se rendre indispensable, faire entendre son nom.

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Assise dans une posture parfaite sur le fauteuil de sa coiffeuse, Marzia coiffait avec une douceur exemplaire ses cheveux d'ébène, avant de les faire retomber dans une cascade étudiée sur ses épaules quasiment nues. Elle n'avait pris la peine d'enfiler qu'une robe, plus noire encore que ne l'étaient ses cheveux, qui dévoilait en partie la dentelle de ses sous-vêtements, sans que ça la gêne. Elle en laissait les bords traîner parterre en une traîne gracieuse, délicate, si peu opaque qu'on en devinait la silhouette de son corps à travers le tissu. Marzia était resplendissante – le teint lumineux et les joues rosées, des bijoux d'or hors de prix faisant d'autant plus ressortir ses yeux de biche. La fête avait commencé.
Elle descendit sans se presser les marches qui la séparaient de la réception, salua chacun de leurs invités avec plus ou moins de hâte – Marzia avait aidé à organiser cette soirée, et connaissait tout ce qu'il y avait à connaître à propos de chaque personne qui y avait été invitée. Elle alla se servir une coupe de champagne, laissant ses talons claquer sur le sol, accrochant quelques regards de loin. Elle était promise à l'un des hommes présents ce soir, sans même qu'elle ne le cherche du regard.
Marzia fuyait la prison qu'elle savait que son mariage deviendrait, elle préférait s'évader dans les yeux des autres. Il y avait des femmes dont elle admirait les courbes, des hommes dont elle désirait la chaleur – sagement posée dans un coin de la salle, elle balayait le paysage du regard, un sourire amusé étirant ses lèvres. Elle se permit, pas même discrète, de faire quelques signes de tête à l'aîné Dulac, au cadet Nishimura, à quelques autres héritiers qui croisaient ses yeux pétillants. Puis, lassée, elle se fraya un chemin jusqu'au grand balcon qui longeait la salle de réception.
Monsieur Rosenwald. Elle reconnaissait la silhouette du jeune homme même quand il lui tournait le dos. Marzia sourit, se penchant en une délicate révérence quand son regard croisa celui du brun. La réception vous plaît-elle ? Elle se fichait bien de la réception – probablement autant que lui. Marzia s'adossa à la rambarde contre laquelle se tenait Luis, sans quitter ses yeux du regard. Du bout des doigts, elle effleura son épaule, prétextant une feuille tombée, ses cheveux, prétextant un insecte perdu, la commissure de ses lèvres, prétextant une miette oubliée. Elle se tenait à une distance outrageusement proche de lui, effleurant ses doigts quand c'était possible, soutenant son regard dès qu'elle en avait l'occasion. Marzia n'était pas de celles qui se cachent, elle n'était pas de celles qui prennent leur temps. Elle voulait tout, tout de suite – et cette fois-ci, c'est Luis qu'elle voulait. Comme si elle avait un jour été innocente et lui naïf, Marzia embrassa sa joue comme celle d'un vieil ami, avant de s'y reprendre, déviant vers ses lèvres. Elle égarait une main sur son torse, profitant du balcon désert pour exprimer ses désirs au Rosenwald, soufflant doucement dans son cou, murmurant quelques mots d'une voix mielleuse.
Elle n'était pas habituée aux refus, mais l'héritier Rosenwald était étonnamment joueur – pour son plus grand plaisir. Marzia le contourna, laissant traîner une main dans son dos, son regard sur le sien, signant d'un petit geste pour qu'il la suive. Le balcon avait l'avantage de longer quelques chambres inoccupées; Marzia ouvrit les portes-fenêtres de l'une d'entre elle, attendant Luis à sa suite pour la refermer, tirer les rideaux.
Les mains fermement agrippées à son corps, Marzia n'en finissait plus d'embrasser chaque centimètre de peau qu'elle entrevoyait, de défaire ses vêtements pour en trouver d'autres. Elle faisait s'éterniser des caresses interdites, se perdant doucement dans les yeux de Luis, avant de s'arrêter dans un soupir frustré. Elle ne faisait que s'amuser. Marzia poussa doucement le bras du jeune homme pour s'en dégager, le bras tendu pour récupérer sa robe jetée au sol – mais il l'en empêcha. Luis n'était pas dur, Luis n'était pas violent – il savait seulement ce qu'il avait à faire et comment le faire, laissant le corps de Marzia répondre avant son esprit. Elle s'accrochait à lui, abandonnant toute idée de s'enfuir, subissant les désirs presque sauvages de Luis, déchirée par un mélange de plaisir et de douleur.