Nous étions allongés dans la chambre qu’on partageait. Avec nos draps, on avait fait un chapiteau et on empêchait tout le monde d’approcher. Les jumeaux Meüer, le cauchemar ambulant. Notre père qui était enseignant, nous faisait l’école à la maison. Alors que j’avais une mémoire photographique, Erik était encore plus indiscipliné que moi. Il faut dire qu’à chaque fois qu’on nous demandait d’ouvrir un livre, il s’endormait. C’était un peu chiant Mais nous avons remédier à la situation en le faisant marcher à la carotte. Une bonne note = une récompense. (et avec moi aussi). A nous tous seuls, on pouvait constituer une équipe de sport. Dix enfants. Les jumeaux –nous- n’étions qu’à la place cinq et six de la famille. J’étais la cinquième, l’ainée du tandem. Erik était mon second et pourtant déjà à l’âge de huit ans, il était plus grand que moi. Nos visages ne trompaient personne, nous nous ressemblons bien trop pour qu’on nous différencie. J’ai juste les cheveux plus longs que mon frère. Lui, il les porte très courts. Mais nous avons le même regard, le même rire et auparavant, on avait la même voix. Ce qui valait pas mal de moqueries en ce qui concernait les autres élèves à l’encontre d’Erik. J’ai beau être minus, personne ne touche à ma moitié. Ce soir-là, il tient ma main. « Encore un petit frère. Tu penses que maman ne nous aimera plus un jour ? » J’éclate de rire à sa remarque. D’habitude, je suis celle qui s’angoisse le plus. Mais on va dire que cette fois-ci, c’est différent. Et pour cause que l’enfant est un miracle. Ma mère n’était pas supposée en ravoir après numéro neuf. (Nous avions l’habitude de donner des numéros pour faire enrager nos frères et sœurs.) « J’pense pas, répondis-je la bouche pleine. On prend trop de place. Sauf, sauf si elle découvre ce qu’on a fait au tapis de Mamie. » Il faut dire qu’on avait renversé une bouteille d’encre dessus en voulant faire des dessins sur feuille. Ça partait d’une bonne intention mais à notre âge, nous étions de véritables calamités. Toujours à se faire gronder. C’est pas de notre faute si les autres n’ont aucun humour.


Ma mère agitait le papier sous nos yeux et nous étions morts de rire. « ON VOUS A SEPARE BORDEL. ET VOUS ARRIVEZ ENCORE A NOUS FAIRE HONTE. » Il faut dire qu’elle était de sang-pur, était partie en guerre contre sa famille pour épouser notre père et avait gagné. Bon ok, ils l’ont renié car elle s’est faite engrosser mais quand même. Elle a gagné. Nos cinq prédécesseurs de la famille Meüer s’en sont sortis sans dommage mais pas non. Tout le temps, punis. Et souvent pour les mêmes raisons. Il faut dire que nous sommes connectés, ce n’est pas de notre faute. J’étais morte de trouille face à ma mère qu’on surnommait le dragon. Mais pas Erik. Non, il a tout bonnement éclaté de rire ce qui lui a valu d’être puni pendant tout l’été. Et comme je l’ai imité, moi aussi. La scolarité, ça ne sert à rien puisque de toute façon, je prendrai la succession de Papa en devenant institutrice et Erik a dit qu’il serait policier. Nous avons toujours préféré le monde des humains à l’autre. Plus à l’aise. « Maman vous a encore puni, demande notre ainé qui est de passage avec Lucia, sa première née. » La gamine court dans mes bras et on hoche la tête ensembles avec Erik. « Comment vous faites ? L’école n’est pas mixte et vous faites les mêmes conneries. » Il faut dire qu’on se retrouve pendant le temps libre et qu’on peut comploter. On ne s’intègre pas si bien que les autres ne nous connaissent pas en tant que personnes mais en tant que « Les jumeaux Meüer. ». Erik a des notes potables, comme moi. Mais nous préférons de loin rendre les profs dingues en évitant de se faire renvoyer. Des terreurs. Des rebelles et ce, jusqu’à la fin de la scolarité.


Cette parole, je l’ai entendu vingt fois. Enfin, moins. Je suis allongée, la tête sur les genoux d’Erik qui me caressait les cheveux en pestant contre mon ex. C’était toujours comme ça depuis l’âge de mes dix-sept ans. Age à laquelle je me suis mise à fréquenter les garçons. Je dois être un aimant à connard. Mon premier compagnon m’avait quittée pour une blonde. Et le second avec qui je suis restée un an –le dernier en date- m’avait trompé avec sa voisine. Son ex-copine. Je suis rentrée pour lui faire une surprise et je l’avais trouvé au lit avec elle. Autant dire qu’elle, je lui ai arraché la tête. Pas en vrai mais elle a de beaux bleus au visage. Et lui, il ne pourra sans doute plus se reproduire. Erik était plus chanceux. Il est en couple depuis une éternité avec sa copine. Ils se sont rencontrés à l’école et ne se sont plus quittés. Comme quoi, encore une fois, nous sommes complémentaires. « Je te préviens, ton prochain mec, tu le choisis mieux. Sinon je t’enferme dans une tour ! » Oups. Non mais parce qu’en fait, celui qui allait être mon histoire la plus durable serait un voleur. Oui, un voleur. Enfin il l’a fait pour payer les frais médicaux de son père. En effet, j’ai rencontré Balthazar Nichols dans une ruelle et vêtue d’un pyjama ridicule. Il faut dire que l’homme en question était entré chez moi pour me voler le collier de mon arrière-grand-mère alors décédée deux ans auparavant. Elle me l’avait légué à moi parce que selon elle, j’étais la plus jolie. Bien sûr, j’ai réussi à le récupérer. Le voleur n’étant pas très bon dans ce qu’il faisait. Puis un an s’est écoulé. On va dire que je ne me suis pas posée la question d’une relation avec un homme, franchement écœurée de la dernière. Malchanceuse en amour, heureuse pour le reste. Puis, il y a eu ce hasard. Un ascenseur. Ce dernier s’est bloqué et je me suis tournée vers la personne qui m’accompagnait. « Je te préviens loustic, si tu me fais les poches je t’assomme en plus de te priver de toute potentielle progéniture. » Une heure, deux heures. Je me suis retrouvée assise en train de m’éventer avec un des cours que j’avais soigneusement préparé. C’est là qu’il m’a confié qu’il l’avait fait pour payer les frais médicaux. « T’es pas très futfut loustic. T’aurais pu prendre quelque chose qui avait plus de valeurs. » De sujet de discussion à d’autres, j’en suis venue à parler de tout. De mon immense famille bien trop envahissante. D’Erik et du lien que j’avais avec lui. Et puis, ce ding qui signifie que la discussion est terminée. Que l’ascenseur est réparé. Je me suis levée pour partir et c’est là qu’il m’a invitée à diner. « Ok, mais il ne se passera rien loustic. Je suis un chat noir avec les hommes. » Puis, je lui ai souri et je suis partie. Après tout, ce n’est qu’un gamin de vingt ans donc je n’avais pas de grandes espérances et pourtant…


Je courais dans les couloirs pour rejoindre ma famille qui se tenait dans la salle d’attente. Je n’avais pas prévenu mon fiancé que je partais en urgence de la demeure que j’occupai avec lui. Car oui, le gamin de vingt ans est devenu mon fiancé et nous sommes ensembles depuis six ans. Après tout, Balt est un courant d’air. Donc, je ne vais pas l’embêter à lui passer un coup de fil. Mais c’est encore étrange le lien que je partage avec Erik. Personne ne le comprend, même pas Balt. Mais je l’ai ressenti. J’ai eu comme une violente douleur à la poitrine et j’en ai eu le souffle coupé pendant un moment. Erik. Il lui était arrivé quelque chose. « Il dort pour l’instant Anya. » Mon père me jette un regard, un regard qui en dit long. « OU EST-IL BORDEL ? » Je hurle, je suis folle de rage. J’en ai rien à carrer que cet abruti soit en train de dormir. J’ai besoin de le voir. Je dois le voir. Ma mère lâche le numéro de chambre entre deux sanglots et je me mets à courir. Je connais bien cet établissement humain puisque j’y suis venue pour une fracture à mes vingt-cinq ans. Le poignet brisé en voulant me battre à nouveau. Trop hargneuse. J’entre dans la chambre à volée avant de le voir qui me fixe en mangeant son yaourt. « JE VAIS TE TUER. » Il faut dire qu’il fait un métier à risque. Je prends place sur le siège. Siège que je ne quitterai pas pendant trois jours. Sauf pour aller changer de vêtements ou aller au travail. Je ne prends même plus la peine de mettre les pattes à la maison, mon fiancé étant absent. A vrai dire, il m’est sorti de la tête tant les blessures de mon jumeau, ma moitié m’accaparent. Mais il faut bien que je rentre. Alors, je me dirige vers la maison le quatrième jour, le teint pâle, les yeux rouges à cause du manque de sommeil. Puis, je me stoppe sur le perron en constatant qu’il y a du mouvement à l’intérieur. « Et merde ! » Je me souviens alors que maintenant je suis fiancée et que même si nous nous sommes éloignés, je dois lui rendre quelques comptes tout de même. Je l’aime voyez-vous mais je n’en peux plus d’être seule. Alors, je fais craquer ma nuque comme avant chaque affrontement. « Tu vas entrer dans la maison ma fille et prendre le taureau par les cornes. T’en ai pas à ta première corrida ma fille. »