( le reflet du miroir - quatorze ans ) une nuit, une bêtise, une envie, une hérésie. Tu as dépassé les bornes et tu le sais. La joue encore douloureuse et marquée, cela fait bientôt de longues minutes qu'il est là, le front collé à la porte, la porte de chambre de sa soeur. Ouvre-moi, s'il te plaît. Mais il ne parle pas, il ne pleure pas, il ne dit rien et la porte ne s'ouvre pas. Quelques heures auparavant, le monde était beau, le monde était pétillant des rêves de l'enfance. Des rires autour de la table, des plaisanteries avec Viktoria, des regards conjoints, car il n'y a pas besoin de mot avec elle, c'est une évidence, un regard suffit pour se comprendre, un geste suffit pour s'entraider, c'est naturel, c'est le lien qui les uni, un lien absolu et qu'ils sont les seuls à pouvoir comprendre et connaître, mais tout n'est pas rose. Tout n'est pas beau même. Un mot de trop à table, un rire cynique à propos de la famille de la matriarche et celle-ci a giflé le fils unique sous les regards stupéfaits du père et des filles. Tu l'as bien cherché, après tout. C'est ce qu'il se dit, ce qu'il pense réellement ? Non, pas du tout. Il n'aime pas ce côté de lui-même et ne supporte pas l’exigence oppressante de sa mère à son encontre, seul garçon qu'elle a eu, elle attend trop de lui et veut diriger sa vie, il refuse, il n'est pas un jouet, il n'est pas sa petite poupée. Silencieux, comme l'ombre qu'il est, le garçon fait demi-tour. Quelques pas en arrière, sans quitter des yeux la porte, Leo s'éloigne, le coeur lourd, le coeur qui balance. Tu n'as pas le droit d'être ici et tu le sais. Il se mordille la lèvre inférieure et détourne le regard pour retourner dans sa chambre, dans sa tanière, refuge d'un enfant qui ne comprend pas ce qu'il est, ce qu'il veut.
Et son coeur s'arrête de battre, la mécanique se stoppe, la machine s'estompe.
Le verrou s'ouvre et le visage de Viktoria apparaît, soleil qui éclaire la lune. « Pourquoi tu n'es pas entré ? Tu sais pourtant ouvrir les serrures. » cambrioleur, détrousseur, voleur. Les regards de l'un se plongent dans les regards de l'autre. Ils ont les mêmes reflets, le même rythme cardiaque, le même tout. Air nonchalant, hautain à souhait, il passe une main dans ses cheveux d'onyx qu'il ébouriffe volontairement. « Je pensais que tu dormais. » elle lève les yeux au ciel la sorcière avant de lui tendre la main, ouverture sur un monde qu'il connait et qu'il désire depuis plusieurs années. C'est fort, c'est incompréhensible, c'est puissant, c'est unique, c'est platonique, c'est malsain entre eux, mais c'est surtout interdit. « Viens, tu partiras avant l'aube. » comme souvent, il vient la joindre dans son lit, il vient partager sa nuit, simplement dormir et la serrer dans ses bras, rien de plus, rien de moins car dormir ensemble, c'est se sentir complet, se sentir vivant et ce soir, il en a besoin plus que les autres soirs. « Merci. » il n'aime personne d'autre qu'elle à part lui, il ne remercie personne d'autre qu'elle, il ne partage aucune nuit à part avec elle. Le lion et la lionne plongés dans leur secret dont le seul témoin est la lune, heureusement muette et silencieuse.

( la tentation - dix-huit ans ) corps contre corps, lèvres contre lèvres. Des baisers volés, des baisers cachés dans une chambre close, à l'abri des regards et des trop curieux. Narcisse et Leo, le lion et l'orgueil. Les soupirs se terminent dans quelques cris, les mains se referment sur les hanches, les coups de reins cessent et les râles de plaisir exultent tandis que le lion se couche dans les draps humides, laissant son amant, ils sont nombreux, mais Narcisse est finalement le seul qui reste et si son sang est mêlé, sa loyauté avec les lions est une différence qui le met à une place supérieure à celle des autres. Le beau Narcisse aux mèches blondes se redresse et cherche à nouveau les lèvres de Leo, le lion refuse et le repousse d'un geste en arrière. « Déjà ? » crache-t-il non sans lâcher un petit rire moqueur. Leo le dévisage, tu ne peux pas comprendre, tu ne peux pas te douter que tu es mon objet, ma chose. « Que veux-tu dire ? » attentif et silencieux, le lion cache ses crocs malgré la fatigue et l'esprit nébuleux, il est toujours prêt à mordre si nécessaire. « Tu tires ton coup et c'est fini ? D'habitude, tu es plus langoureux, plus... Comment dirais-je... Sensuel ? » agacé, le brun se redresse et cherche ses affaires pour s'habiller. L'homme n'est pas sa préférence, il aime les deux, mais au fond de lui, c'est l'unique qui le hante, jour comme nuit, il sait l'atroce vérité et joue pour essayer de l'oublier, vaine tentative. Le pantalon enfilé, il s'apprête à partir en prenant son haut, mais la main de Narcisse le saisit, le retient. Lâche-moi. « C'est parce que je ne suis pas assez bien pour toi, c'est ça ? » « Ne sois pas stupide ! » « Je tiens beaucoup à toi Leo, pas pour le nom que tu portes, pas pour ton or ou ton corps, aussi excitant soit-il, mais parce que tu me plais. J'aime tout de toi, mais il y a toujours cette ombre qui rôde autour de toi... L'ombre de Viktoria. » d'un geste sec, Leo se retire de sa poigne et renferme sa main autour du cou de Narcisse. La colère se lit sur son visage, une colère et une peur, la peur d'être découvert, la peur d'admettre la vérité. « N'oublie pas qui tu es. N'oublie pas ton nom, sale petit sang-mêlé. » doucement, ses lèvres approchent de l'oreille gauche du sorcier qui manque d'air. « Il n'y a pas de nous, il n'y en aura jamais. Tu es mon jouet et je m'amuse avec toi, considère cela comme un privilège que je veuille bien me servir de toi. » il relâche enfin sa proie et recule, Narcisse tousse et cherche à respirer. Autour de son cou, la trace de main du sang-pur est nettement visible.
« Et ne prononce plus jamais le nom de ma soeur, plus jamais ou ça sera la dernière chose que tu feras de ta misérable existence. »

( valse à trois temps - vingt-deux ans ) Lussy. Un prénom derrière un visage fragile et rêveur, une crinière blonde à faire rougir un lion, une fougue qui ne vient pas et un avenir incertain. Ce soir, c'est le soir où on découvre le visage de la fiancée. Leo ne l'a pas choisi, il n'a rien choisi de tout cela, ni son nom, ni sa perversion, ni sa malveillance. Ses yeux ne cessent de chercher du regard sa soeur, mais elle semble absente, comme si elle ne voulait pas assister à la scène, voir l'impensable. Et elle est là. Lussy, dans sa robe de velours aux reflets d'un bleu nuit abyssal. Elle incline la tête, elle est jolie certes, très jolie, mais elle n'est pas comme Viktoria. Une pensée rapidement chassée par l'esprit car il faut savoir tenir son rôle. Le sorcier s'incline bien bas et effleure du bout des lèvres le dos de la main de la cadette Feuerbach. Comme à la française. « C'est un plaisir. » mensonge maquille sous un sourire faux. Lussy fait de même, ment-elle ou pas ? Nul ne le sait. Il faut se contenter d'être un comédien, jouer dans sa propre tragédie tandis que le valse commence, tradition des temps, une valse qui a un temps, Leo, deux temps, Leo et Lussy, trois temps, Leo, Lussy et Viktoria. Narcisse n'est plus qu'un souvenir, un morceau du passé arraché à la vie pour le bien de tous, pour le bien du lion car celui-ci souhaite être un fiancé convenable, un bon mari malgré ses tentations et ses sombres pratiques.
Et la valse tourne, tourne, tourne dans le vide.
« Allez-vous m'aimer, un jour ? » une question qui en amène d'autre. Les fiancés se voient de plus en plus, l'approche du mariage se fait à grand pas et les alliances ont déjà le fer chaud. Dans les jardins de la tanière des lions à Hamburg, ils avancent, presque main dans la main et pourtant, la distance est toujours là. Leo essai, Leo veut être le peintre de la muse Lussy, mais il n'y arrive pas, car l'ombre de Viktoria persiste. Et les chaînes se briseront un jour, ce n'est qu'une question de temps. « Ce n'est pas un mariage d'amour, il n'en a jamais été question Lussy et vous le savez, mais je souhaite croire que le temps va allumer la flamme. » des paroles pleines d'espérance, mais teintées par le mensonge et l'orgueil. « Alors si vous l'espérez, laissez nous une chance, laissez-moi une chance. » elle arrête sa course et l'observe, approche son visage du sien, mais il recule un peu, surpris. Pourquoi tu recules ? Pourquoi alors que tu as déjà laissé bien des hommes et des femmes y goûter ? « Leo, s'il te plaît... » c'est presque une supplication et dans les yeux de la flamme, il voit l'incendie qui brûle et qui dévore, elle veut posséder le lion, elle ne veut faire qu'un avec lui. Vos deux destins sont liés. Et les lèvres de l'un viennent se sceller avec celles de l'autre. Un baiser léger, à peine quelques secondes de contact et c'est pourtant le début, le début d'un conflit intérieur entre le devoir et la volonté, entre l'amour et le pouvoir.
« Et essayons de ne plus nous vouvoyer, après tout, dans quelques mois, nous partagerons plus qu'un baiser. » vérité absolue et atroce, lèvres pincées, il acquiesce et dans ses souvenirs, il arrive encore à sentir le parfum que se met sa soeur tous les soirs avant de se glisser sous les draps.
La passion qui déferle dans tes veines et causera ta perte.

( ne croyez pas en nous - vingt-trois ans ) « Plus de vin. » il tend son verre et le domestique s'exécute, remplissant le calice du breuvage de couleur pourpre, pourpre comme le sang, sang qui se déferle dans les veines. Le petit salon qui fait office de fumoir est vide ce soir, les parents ne sont plus là, ils ont rejoint chacun leur chambre respective. Les gens bien ne dorment pas ensemble dicte leur mère pour donner une explication à cette distance entre son mari et elle, mais ce n'est qu'une façade, un mensonge parmi tant d'autres auxquels le sorcier est habitué. Il plisse les yeux en buvant une longue gorgée de vin. Elle arrive. Il le sent, il le sait. « Je savais que tu ne dormais pas. » un léger sourire plane sur les lèvres du frère tandis que son regard se perd dans la contemplation de sa jumelle. Cette robe te va parfaitement chère Viktoria, elle suffit à ton corps de déesse. Une pensée échappée d'un esprit enchaîné tandis qu'il pose son verre et que la sorcière s'assoit face à lui. « Tu sais, j'ai longuement réfléchi à tout cela. Les Monaci, ta position face au secret de notre cousine, ton rang dans cette société. » il marque une pause et saisit un cigare dans la boîte posée à sa droite. « Même si je pense que la couronne devrait être sur notre tête et notre royal fessier posé sur le trône, je pense que cela peut prendre plusieurs années et qu'avant que cela n'arrive, nous aurons pris de l'âge et nous devons donc nous octroyer dès maintenant un rang dans cette société. Si mon destin semble tout tracé avec les Feuerbach, ce n'est pas ton cas et notre monde conserve la position de la femme comme un valet, si ce n'est moins que ça. » le cigare s'allume et le brun tire longuement dessus avant de recracher la fumée, d'inspirer et d'expirer pour en venir à l'essentiel. Sa main se pose sur la table, celle de Viktoria aussi, tandis qu'elle lui saisit les doigts, joue avec, referme sa main dans la sienne. Tu joues avec le feu, petite. « Ta place dans ce monde est avec une tiare sur la tête. Notre cousine a peut-être notre sang, mais elle n'est rien comparée à toi et je pense que tu devrais jouer de ce que tu sais sur elle pour détruire son mariage et prendre la place qui te revient de droit. » les mots claquent, prononcés avec panache et élégance, si Leo les pense et imagine sa soeur au plus sommet du monde, une partie de lui qu'il force à se taire lui hurle de ne pas dire ça, qu'aucun homme ne doit poser la main sur elle ni l'embrasser et encore moins la faire crier de plaisir ou de souffrance. Il ne le permet pas et pourtant, il le fait pour elle, comme pour lui. « Tu as certainement raison, mais la situation est plus compliquée que ça. » C'est toujours compliqué chère soeur, toujours. « Je n'aime pas que tu me jettes dans les bras des italiens tandis que toi, tu vas bientôt épouser cette petite fille. » le ton se veut médisant, mais il ne répond pas à la provocation, pas cette fois. Il se contente de sourire et de finir son cigare. « Je n'ai guère le choix. » raillerie moqueuse de la soeur à nouveau, Viktoria sait qu'il a le choix, mais qu'il prend la facilité. « Tu peux mentir au monde entier Leo, mais pas à moi. N'oublie pas que je suis en toi. » des mots qui résonnent, des mots qui font écho à cette volonté de n'avoir qu'elle et qui pourtant, ne doit pas exister. Viktoria embrasse la main de son frère avant de sortir de la pièce et de laisser le frère à ses sombres pensées. Le domestique est là, la bouteille de vin à la main. « Laissez moi et laissez aussi la bouteille. » ordre donné, se noyer ce soir, se noyer demain, se noyer pour toujours.

Tu vas me détruire.
Tu vas me détruire.
Je ne peux pas te maudire.
Même si tu vas me détruire.