Dans un coin sombre de la chambre, un brin de lumière. Les volets fermés sur la pièce peu aérée depuis quelques temps déjà, laissent apercevoir la nuit noire de la nuit. Seuls les rayons de la lune pleine arrivent à se frayer un chemin entre les rainures des volets en bois. Dans ce coin, un jeune homme assoupi sur une pile de bouquins ouverts. Des feuilles étalées au sol semblent s'être perdue, ayant quitté le navire que formaient leurs bouquins d'origine. Les cheveux en bataille, la tête enfouie dans ses bras, il laisse échapper de petits ronflements. Cela faisait combien de temps qu'il n'arrivait pas réussi à s'endormir même quelques instants ? Bien une semaine... Depuis l'annonce du décès de la jeune Serena Rosenwald, Aloïs n'arrivait pas à s'en remettre. Lui qui rêvait de voir le jour du mariage arriver, il ne pouvait que ressasser les événements du passé... De simples souvenirs, qui finiront par être emportés par le temps qui file. Ce n'était pas l'avidité  de pouvoir qui l'avait poussé à accepter les fiançailles, enfin pas directement la sienne. Lui, ce qu'il voyait, c'était cette gamine brune aux yeux bleus, avec qui il aimait jouer lorsqu'ils étaient enfants. Elle lui plaisait, bien qu'elle était légèrement plus jeune que lui, mais il s'en contrefichait pas mal à vrai dire. Seulement quatre ans d'écart, ce n'était pas si grand après tout ! Mais désormais, les souvenirs s'estompent, son sourire chaleureux  également. Ses parents imaginaient déjà leur fils prodige finir sur le trône de l'empereur, mais tout parti en fumée. Une maladie qui apparut en un éclair, et qui acheva la jeune femme, à seulement dix huit ans. Il ne restait plus que deux ans à attendre à Aloïs, pour enfin annoncer le mariage, et démarrer les préparations. Tous deux l'attendaient avec impatience. Mais ce fut de courte durée.

L'annonce de la mort de la fille Rosenwald était arrivée une semaine auparavant. Une lettre cachetée par le sceau de la rose fermait la dite annonce. Le patriarche Taborski fit sauter le sceau, déplia le papier finement rangé dans l'enveloppe, et laissa courir son regard interrogateur sur les lignes noircies. Ses yeux bleus s'arrêtèrent de voguer sur la mer de mots, sous le regard inquiet de la famille réunie autour de la table. "Père ? Ça ne va pas ?" avait demandé l'aîné de la famille. Le regard vide rivé sur son fils, il ne savait quoi répondre à ce jeune homme dont le destin allait changer du tout au tout. La tristesse le rongerait sûrement durant de longs jours, mais il s'en remettra. Il le savait. Du moins, il l'espérait. Son fils n'était pas un Taborski pour rien. "Aloïs, Serena Rosenwald est décédée..." dit-il dans un souffle. Un instant, le silence s'engouffra dans la salle à manger. Les souffles coupés par la stupeur, pas même le bruit d'un oiseau se faisait entendre...

Le déni. La colère. La dépression. Il est passé à chacun de ces stades. Un à un, plus ou moins longtemps. Par chance, les chagrins s'estompent, pour laisser la vie reprendre son court, c'est à ce moment que l'acceptation prend tout son sens. Bien qu'il avait perdu une amie et un amour, la famille Rosenwald ne perdit point de temps à lui retrouver une femme à marier. De dix ans sa cadette, la jeune Raya, alors âgée de neuf ans, lui fut proposée en mariage, proposition que ses parents empressèrent d'accepter. Elle était d'un moins bon parti, étant issue d'une branche mineure, mais elle restait une Rosenwald tout de même ! Aloïs, lui, semblait perdu. Il ne se voyait guère au bras d'une si jeune femme, qui pourrait, former un couple avec un homme de son âge, moins vieux que lui-même... Mais le patriarche ayant prit sa décision, il ne pouvait y avoir de marche arrière. Et puis, il fallait dire que les deux familles étaient liées par un lien assez particulier, tel que les mariages, ou la protection qu'elles s'apportent l'une à l'autre.  Il faut dire que, les enfants Taborski et Rosenwald furent élevés ensembles lors de la rébellion de la garde impériale allemande. Les liens ne pouvaient être plus forts...! Aloïs allait alors devoir attendre que l'enfant atteigne sa majorité, pour pouvoir engager le mariage. Quelle attente...