— ni les nuits ni les jours n'ont de sang maintenant ;
mon âme erre dans un lieu qui s'ennuie et me nuit.
je me décapiterai pour l'avoir laissé mourir,
je me déshabillerai devant dieu sans rien dire...

Ses yeux brûlent à force de lire les caractères chinois sur le parchemin ancien, là, dans la bibliothèque de la famille. Ce si jeune homme, un bout d'adolescent, avec pourtant un destin tout tracé depuis sa naissance. Akira s'instruit, il découvre chaque jour ce que les dieux lui apportent. Lui, dans la prestigieuse famille Nishimura, il a depuis longtemps compris que les siens doivent compter plus que tout pour lui. Il en apprend chaque jour sur le berceau culturel que portent ses proches et que lui se doit aussi de porter. Les années auront beau passer, Akira devra se rendre à l'évidence qu'il n'échappera jamais aux liens du sang. La pureté de son nom. La pureté de sa magie. La pureté de ses traits en amande. Akira est un héritier de poids, le premier fils de la branche majeure, et chaque jour il lit des kilomètres de kanjis pour se forger une histoire vieille de plusieurs siècles.

Au moins une fois par mois, il se doit de passer une journée avec les alliés des Nishimura. Les Wolffhart sont devenus sa seconde préoccupation. Son tuteur, Sanzo, lui a très tôt inculqué l'allégeance sans faille dont il doit faire preuve auprès des serviteurs de La Louve. « La vie ne te fera aucun cadeau, mon enfant. Mais tu trouveras toujours du courage au plus profond de toi en priant La Louve. Prie-la aussi souvent que nécessaire. Fais preuve de sagesse, implorer les dieux est loin d'être une honte. » La famille, point central de sa vie, il se sent happé par les liens qui se tissent entre lui et ses origines. Etre un Nishimura est un honneur, mais aussi un sacrifice nécessaire pour porter ce nom. Akira se consume, il s'embrase à la simple évocation de cet avenir tout tracé qu'il a de nombreuses fois voulu fuir. Il est bestial, il est sauvage, il a cherché à déserter et a commencé à envier les sangs-mêlés, voire même les magiciens. Mais en passant du temps avec la jeune Elsa, ce brin de femme qu'il doit finir par épouser et qu'il considère comme son amie, il ne peut tout simplement ne pas être égoïste. Etre égoïste, cela revenait à être un Rosenwald, si ce n'est un Lindeberg. Est-ce réellement cette philosophie-là que la famille Nishimura transmet ? Il s'assagit. Il comprend malgré lui qu'il est déjà trop tard pour tout changer. Il est condamné, son nom couché sur les multiples papiers. Le monde magique l'a déjà adopté. L'héritage l'a déjà choisi comme successeur. Parce qu'il est si facile à manier tout jeune. Akira grandit, mais il grandit en cage.

— je n'ai rien vu de pire que l'effort que je fais pour survivre au néant.
pardonne-moi de ne plus rien écrire en chantant,
mais à quoi bon lâcher l'encre sur du sable mouvant...
akira, je suis mort, je suis ivre de l'audace d'être toujours vivant ;

Goldadler, ou les années d'or comme il s'amuse à les appeler. C'est cette période scolaire, pour développer ses aptitudes magiques, qu'Akira a réussi à se forger un nom, un vrai, autre que Nishimura. Il est déjà arrivé avec un avantage ou un handicap en prenant différents angles: être un Nishimura apporte des privilèges mais aussi des faiblesses. Il est mal regardé. Il est mal accueilli. Mais il suscite la curiosité, il affronte ses pires peurs et apprend à se moquer du regard des autres. L'adolescence, l'âge ingrat. Il s'est souvent pensé seul, avec Elsa sa fiancée en unique amie. Oh Elsa, le nombre de fois qu'il a pu se rattacher à elle. Si belle, si forte, elle est loin d'être anodine. Elle est de cinq ans sa cadette, mais il admire déjà ce brin de femme. Il trépigne chaque jour d'impatience à l'idée de la revoir lors des entretiens arrangés par les deux familles en vue de leur futur mariage. Il l'aime. Il apprend à l'aimer, à la désirer, à la vouloir au plus profond de sa chair. Au point où les autres filles ne sont là que pour le jeu. Comment désobéir à sa famille ? Il est promis à la belle depuis ses cinq ans, il vit avec et c'est presque si c'est gravé dans sa chair. Il mûrit dans l'optique qu'il va passer le reste de sa vie avec elle, loin de toutes les langues de vipère qui l'entourent, mais il ne se rend pas compte qu'il nage en pleine illusion, si ce n'est un rêve.

Ah Godadler, il a aimé cette indépendance d'antan. Là où les étiquettes s'arrachent pour en coller de nouvelles. Akira s'est très tôt montré très assidu et concentré dans ses travaux. Les professeurs l'ont tous aimé. Il fait constamment preuve d'intérêt et la curiosité a toujours été son point fort. Mais à vouloir trop bien faire, il a de nombreuses fois fini par mal faire, et il s'est détruit. Ou plutôt, il a détruit l'enfant qui a grandi entre les murs du fief des Nishimura. L'enfant n'a plus sa place ici, désormais. L'enfant candide qui passe ses journées à la bibliothèque ou au dojo n'existe plus. Akira l'a rayé, il l'a gommé comme il gomme des fautes sur du papier clair. Enfin, l'avenir ne parait plus si tracé que ça. Il prend de l'âge, il gagne en maturité, il se découvre des passions et des désirs bien plus importants qu'auparavant. Enfin, la famille ne devient plus une obsession et il ne craint plus de décevoir. Parce qu'il comprend, avec l'apprentissage à Goldadler, que personne ne peut être parfait. Même le singe tombe de l'arbre. Il apprend de ses erreurs. Il veut pardonner à l'enfant qu'il a été que le rêve n'est pas éternel. Il existe bel et bien une fin à tout. Etre un Nishimura est un honneur, mais loin d'être un fardeau. Il a compris qu'il est avant tout Akira avant d'être Nishimura. Et il parvient enfin à se sentir vivant.

— et quelle plus belle mort
que d’affronter ses ennemis,
pour les cendres de ses ancêtres,
et les temples de ses dieux.

L'amour le brûle. Lui qui a si peur du feu. Lui qui porte les flammes en horreur, il brûle d'amour pour celle qui ne lui a jamais tourné le dos. Il s'enivre de ses lèvres, il s'enivre de son parfum et de ses yeux si bleus dans lesquels il veut se noyer. Elsa l'a sauvé. Elsa l'aide à respirer. Parfois, il remercie les dieux de lui avoir un tel cadeau. Il comprend le sens de la vie: il faut souffrir longtemps, parfois trop longtemps, pour avoir droit à quelques minutes de bonheur. Il recherche le bonheur éternel. Il s'enfonce dans la monotonie d'un espoir à peine effleurable. Le désir de la chair le consume. Elsa le contient. Le nombre de fois qu'il a entendu ses murmures doux pour lui demander d'arrêter... Pourquoi arrêter ? Et puis même, pourquoi attendre si longtemps un mariage qui ne saurait tarder ? Il ne tarde pas, le mariage. La fougue de la jeunesse l'emportera encore loin, Akira, jusqu'à l'aube de ses vingt-huit ans où la concrétisation de toute une vie arrive. L'alliance se renforce. L'anneau entoure son doigt. Les deux familles peuvent une fois de plus compter sur elles. Elsa devient Nishimura. Elsa endosse un nom de famille avec lequel Akira s'est battu toute sa vie. Il a eu peur pour elle, peur qu'elle ne puisse pas supporter le poids des responsabilités que d'être mariée à la branche familiale. Les Nishimura, cette famille si pieuse et traditionnelle qui véhicule les moeurs d'un Japon si lointain. Mais il la connait, Elsa, pour avoir passé tant de temps avec elle: elle est forte. Elle est une Wolffhart, et il sait qu'elle ne finira pas perdue dans le néant d'une civilisation si opposée à la sienne.

Le mariage lui fait pousser des ailes. Il coule des jours heureux. Tout lui sourit et il se sent récompensé par tous les efforts qu'il a mis durant son enfance et son adolescence. Tout a été semé d'embûches, il a l'impression de voir le bout du tunnel. Mais tout bonheur possède malheur. Il n'y croit pas, ou plutôt ne veut pas y croire. Il fait carrière dans l'hôtellerie de luxe, est marié à une éditrice d'une modestie à toute épreuve, est un des major de sa promotion à Goldadler donc assez confiant dans ses techniques magiques, et le contexte politique ne semble pas l'inquiéter plus que ça, étant suffisamment fort psychologiquement pour assumer sa préférence pour un nouveau régime. Alors pourquoi les dieux s'acharnent sur lui ? Pourquoi ne lui laisse-t-il pas le droit de respecter son devoir d'époux et héritier de sa famille ? Il ne parvient pas à avoir d'enfant avec Elsa. Le sort s'acharne sur leur mariage. Deux fausses couches déjà trop dures à supporter, il craint désormais la troisième tentative. Avant, il regardait sa femme avec désir, fougue, amour. Aujourd'hui, l'amour ne l'a pas quitté, mais il arque les sourcils, il sourit maladroitement. Il se meurt de ne pas pouvoir faire sourire sa femme. Il se meurt de ne pas pouvoir raviver l'espoir dans les prunelles de ses parents qui vieillissent avec le poids de leurs responsabilités. Lui qui veut protéger tout le monde, lui qui veut s'élever dans la société sans s'en vanter, aussi discret qu'une carpe remontant le cours de la rivière... Akira doit être encore plus fort, la vie est loin d'être finie pour lui. La mort parait loin, le danger semble inexistant. Et pourtant, au bord d'un conflit endormi depuis des années, il a besoin de se replonger dans une éducation qui coule dans ses veines. Le sang pourpre. Les mains sur le katana. Les yeux sur les kanjis. Les mots au bord des lèvres.

Il n'a pas besoin de n'être que Nishimura.
Il n'a pas besoin de n'être que Akira.
Il a besoin d'être Akira Nishimura. Les deux à la fois.

TADAAAAAAAAM. Une pluie de paillette et d'amour s'abat sur toi pour fêter ta validation. Elle est pas belle la vie? En tout cas, tu as fièrement courageusement bravé l’épreuve de la fiche de présentation et voilà ce que j'en ai pensé :
Tu fais de très jolis étrons en tous cas