«
Chéri, tu crois que … », elle ne finit pas sa phrase, et se regard se perdit dans la contemplation de son propre reflet dans le miroir, la main posée sur son ventre de femme enceinte. Son mari vint la rejoindre, se postant derrière elle, et lui entourant la taille de ses bras. Il lui chuchota à l’oreille, remettant en place une de ses mèches de cheveux. «
Chuuut, tout se passera bien. Je te le promets ». Il la fit tourner, la regardant dans les yeux, lui prenant les mains dans les siennes. «
Ne t’inquiète pas, je sens que cette fois-ci c’est la bonne. Il ne sert à rien de stresser nos petits bouts de choux là-dedans », dit-il en désignant le ventre. Car oui, il y en avait deux. Des jumeaux. Après plusieurs échecs et de nombreuses fausses couches, le miracle s’était à nouveau produit, mais la crainte, elle, de tout perdre, s’était enraciné dans tout son corps. De la femme ambitieuse, sportive, qui n’avait pas une seconde à elle, elle s’était soudainement enfermée entre quatre murs, évitant tout contact avec les gens, et le monde extérieur. Elle voulait à tout prix protéger ses bébés. Elle leva la tête vers son mari, les larmes ruisselants le long de ses joues. «
Merci », murmura-t-elle. Elle se refit rapidement une beauté. Ce soir, elle allait devoir prendre sur elle. Ils étaient attendus au country club, et il fallait qu’elle se montre de temps à autre. Tout du long du trajet, elle s’accrocha aux paroles de son mari. Il lui avait promis que rien ne leur arriverait. Il fallait qu’elle lui fasse confiance, sinon, elle tomberait à tout jamais dans la folie. C’était sans compter la voiture qui arrivait en face d’eux, qui déviait trop rapidement de sa trajectoire. Tout devint noir.
Tout était flou. Dans le brouillard. Elle avait juste l’impression de nager en plein rêve, dans le néant. Elle était si bien, elle ne voulait pas en sortir. Elle sentait que quelque chose n’allait pas, et quelqu’un qui la retenait dans cet état. Elle en avait marre des horreurs du monde. Et surtout, elle sentait au plus profond d’elle que quelque chose s’était brisé. Elle avait déjà la réponse à la question qu’elle n’osait pas poser. Qu’elle ne voulait pas. Une semaine après le drame, elle était toujours alitée à l’hôpital, les médecins faisant continuellement des vas et viens à son chevet. Ils avaient pris la décision de la mettre dans le coma artificiel. Elle avait été trop mal en point, et la priorité, était de sauver la vie des bébés. Ils n’avaient pas eu le choix. Et jusqu’à maintenant, le temps leur avait donné raison. Tout ce petit monde se portait bien, au du moins, tout le monde luttait pour sa survie. Elle émergea finalement quelques jours plus tard, perdue, son mari lui tenant la main, les larmes aux yeux. «
Ma puce ». Son regard se dirigea directement vers son ventre. Plat. Un cri déchira l’air, qui ne s’arrêta qu’une fois que les calmants aient fait leur effet. Pendant de longues journées, mon père fit la navette entre la chambre de sa femme, notre mère, et le service de néonatologie. Nous étions nés avec trois mois d’avance. Des prématurés. Nous avions constamment besoin d’être dans une couveuse, attachés à de multiples machines, qui nous gardaient en vie. Je ne sais pas comment il faisait, mais il arrivait à garder sa force. Il était comme un roc. Jamais il n’avait douté de ses paroles. De notre survie. Tous les jours, il répétait inlassablement les mêmes mots à ma mère. «
Ce sont des battant, Elsy. Tu verras, tout va bien se passer. On pourra les ramener chez nous, et continuer notre vie ». Et effectivement, il avait raison. Après avoir passé environ six mois à l’hôpital, nous avions repris assez de force et une nouvelle vie allait commencer pour nous. A la maison.
La vie suivit son cours, normalement, années après années. Plus je grandissais, plus je sentais un monstre en moi-même, qui prenait tout autour d’ampleur. Je ne savais pas ce que c’était, et je n’ai jamais osé demander à mes parents. Depuis notre naissance, notre mère s’était renfermée sur elle-même, incapable d’aimer. Mon père, quant à lui, n’était pas souvent à la maison. Il fuyait. Surtout sa femme. Alors que nous étions la prunelle de ses yeux. Il ne restait que nous. Aliénor et moi. Avec ce lien indéfinissable qui lie tout jumeaux. Personne ne peut comprendre. Mais il y avait autre chose, et je m’étais tut. Mon comportement changeait. J’avais comme l’impression que d’un seul regard, j’arrivais à faire changer les gens. A les manipuler. Non pas que je ne l’avais jamais fait, en étant petit avec mes parents, mais c’était … différent. Ça prenait de plus en plus de place, de puissance. Je n’avais aucun contrôle. Et je n’avais personne avec qui parler. D’autant plus que les enfants de notre école, se moquaient de nous. Nous étions plus frêles qu’eux, un peu plus lents d’esprits. Différents. Tout cela pouvait s’améliorer, en faisant plus de sport, en se plongeant dans les bouquins. C’est à cet époque j’ai dû laissé la bête sortir pour la première fois. Des adolescents plus âgés que nous s’en prenaient à ma sœur, sous prétexte que c’était une fille. Tout se brisa en moi. Sans m’en rendre compte, j’avais franchi la ligne jaune. Et une sensation dans mon ventre, me dit que j’en avais pris du plaisir. A les remettre à leur place. Sans savoir que tout cela agirait comme une drogue.
Il n'y avait que nous, il n'y aurait que nous. Contre le monde. Et cette chose étrange qui se tortillait au fond de moi, qui attendait que je le resorte. Le reste m'importait peu.