Les mains pleines de terre, le front scintillant de sueur par cette chaleur à crever, Balthazar trifouillait le terreau encore humide, accordant ses mouvements avec ceux de son père. Depuis qu’il lui en avait été donné la permission, il avait toujours aimé l’accompagner chez cette famille de sorciers au sang pur, les Abdelaziz. Ce n’est pas que le jardinage l’intéressait plus que de raison, mais plutôt parce que déjà à son âge, il ne restait pas en place. Peut-être était-ce également sa façon de remercier ses parents pour avoir toujours essayés de subvenir à ses besoins, malgré leurs moyens limités. Fils unique des Nichols, il a été choyé et adulé par ses parents qui n’ont pu avoir de second enfant. “ Merci fils, mais tu peux partir maintenant, je vais devoir employer les grands moyens pour arriver à bout de ce chiendent une bonne fois pour toute. Pourquoi n’irais-tu pas voir Mayssa ? ”, il ne discutait que très rarement les ordres de son père, si bien qu’il s’éloigna sans broncher, se rapprochant de plus en plus de cette immense maison. Mayssa Abdelaziz, de quelques mois son aînée était une jeune fille qui avait déjà à son âge, des idées bien arrêtées sur ce qu’elle voulait faire de sa vie. Petite princesse aux airs de guerrières, elle l’avait toujours un peu effrayé dans le fond. Bien que le garçon ne l’aurait pas avoué pour un sous. Lui ? Avoir peur d’une fillette d’à peine six ans ? Jamais !

Assise sur la terrasse familiale, elle était en train de faire ce qui ressemblait à une couronne de fleur. Balthazar avait envie de l’approcher, mais ne savait pas comment aborder la chose pour ne pas paraitre bizarre. Ils s’étaient déjà parlé plusieurs fois, mais toujours en présence de leurs parents respectifs, ce qui n’avait pas vraiment abouti à de grandes conversations, mais plutôt des échanges de courtoisie. Balthazar était un garçon timide. Ce qu’elle n’était pas en revanche. D’un coup, d’un seul, il repensa à ces fleurs qu’avait apporté son père à sa mère un soir et combien elle en avait été ravi. Peut-être qu’il pourrait faire pareil. Il se mit en quête de trouver de jolies fleurs dans le jardins, essayant du mieux qu’il pouvait d’élaborer un bouquet. Revenant avec ses trouvailles, il s’approcha de May avec méfiance, ne voulant pas la déranger. “ Pour toi. ”, il lui tendit les fleurs qui n’avaient pas l’air d’avoir apprécié le fait d’être arraché à la terre. “ Tu penses m’impressionner comme ça ? ”, ce n’est pas vraiment la réponse qu’il attendait. Ses joues s'empourprèrent, ne sachant pas vraiment quoi dire et chercha à bredouiller quelques choses. “ Mais c’est gentil. Je vais pouvoir les ajouter à ma couronne comme ça. Merci. ”, sans le regarder, elle ajouta “ Tu peux t’asseoir à côté de moi si tu veux. ” et c’est sur ces paroles, que ce qui allait devenir une amitié solide prit vie.


“ T’es sûr de vouloir faire ça ? Non parce que, j’voudrais pas que tu tombes amoureuse, ça serait con quand même. ” “ Ça, ça risque pas ! ”, tu ris. Tu trouves ça tellement bizarre. Vous ne devriez pas être ici au beau milieu de la nuit. Et dire que tout ça part d’Emilia Sanders et de ton béguin pour elle. “ Très bien. ” Tu fermes les yeux et attends. “ Qu’est-ce que tu fous ? ” tu les rouvres presque aussitôt. “ Bah... J’attends ? J’attends que tu me montres la super technique infaillible pour bien embrasser une nana. ” “ Oh non là, ça paraît trop réel. ”, et pourtant, ça l’est. Tu te demandes si tu dois lui avouer maintenant que tu as déjà embrassé une fille et que tu n’as pas besoin de son aide pour ça, ou si tu dois attendre. “ Oh aller, c’est pas la mer à boire. On se connaît depuis tellement longtemps maintenant que… ” “ Justement. ”, tu la regardes d’un air qu’on pourrait traduire par “ ohh come oon ! ”, d’autant plus que, tu le rappelles, c’est elle qui s’était proposée de t’aider. “ Bon, très bien. ” tu sens comme un moment de gêne avant que vos lèvres ne viennent se rejoindre. Ce genre de silence gênant où tu sais pas où te foutre. Pourtant, ça arrive. Vos lèvres vont à la rencontre de l’autre. Weird. C’est à la fois étrange et à la fois extrêmement plaisant. Tu n’arrives pas à définir cette sensation et t’aurais peur de lui donner un nom de toute façon. Alors tu ne l’appelles pas. Tu laisses juste ce moment se passer. Tu te risques à passer une main dans ses cheveux, mais elle l’attrappe au vol. “ Tout doux Roméo, ça faisait pas partie du contrat. ”, elle articule ses paroles alors que vos lèvres sont séparées d’à peine deux millimètres. Mais elle a raison. Il ne faut pas commencer à s’accorder ce genre de petit débordement. Ce n’est pas acceptable. Et puis de toute façon, ça ne voulait rien dire. Elle voulait juste rendre service à un vieil ami. Et pourtant tu ressens une envie irrésistible de lui donner un autre baiser. Mais tu ne le fais pas. De toute façon les dés sont lancés maintenant, tu le sais. Reste juste à voir jusqu’où ce jeu vous mènera.


Ton pas est rapide, tu as une boule au ventre. Qu’est-ce qu’il t’a pris de voler ce collier ? Depuis que tu as appris la maladie de ton père en sortant tout juste de Goldadler, tu as tout mis en oeuvre pour pouvoir payer les frais médicaux coûteux. Allant même jusqu’à voler des personnes innocentes pour revendre leurs biens. Ca ne te ressemble pas, mais disons que tu n’as pas le choix. Les mêlés ne peuvent pas accéder aux métiers les plus prestigieux, et quoi qu’il arrive, tu seras toujours moins rémunéré qu’un pur. Dans quelle société de merde tu vis. Tu aimerais crier à la discrimination, mais tu n’as pas le temps. Il faut à tout prix que tu quittes ces lieux. Tu te glisses dans une ruelle jusqu’alors vide et ralentis le pas, certain que tu l’as semé. Tu continues de marcher pour en atteindre le bout, mais elle te parait interminable. Tellement qu’elle te rattrape. Tu affiches des yeux ronds comme des billes. Merde alors, elle est plus rapide que tu ne l’imaginais. “ Et tu comptais partir comme ça ? Comme si de rien était ? Sale petit voleur de… ” tu essayes d’articuler quelque chose, mais tu te fais surprendre par la jeune femme. Sa main se tend, ses doigts dessinent un cercle à la volée sur lequel ils se referment,  “ Motus ! ”, elle te prive de la parole. Un sortilège vieux comme le monde, mais pourtant efficace. “ Qu’est-ce qu’il y a, t’as donné ta langue au chat ? Maintenant rends-moi ce collier ou je te montre ce que je sais vraiment faire. Crois-moi que ce n’était qu’un avant-goût. ”, elle semble fière d’elle, mais surtout sûre. Tu ne la crains pas le moins du monde, mais d’un autre côté, tu es piégé. Tu pourrais très bien te défendre avec ta magie, toi qui sais bien la manier, mais sans voix, ça va être compliqué. Elle tend la main et fait signe de lui rendre son bien à l’aide du mouvement de ses quatre doigts. “ J’attends. Ou peut-être en veux-tu encore ? ”, tu n’as pas vraiment le choix. “ Je ne te redonnerai la parole lorsque le collier sera dans ma main. ”, tu ne la quittes pas des yeux. Pas même lorsque tu plonges la main dans ta poche pour en ressortir le collier. “ Loquitur. ”, d’un mouvement de main, tu as retrouvé la voix. Tu aimerais lui dire quelque chose, mais elle vient loger son genou entre tes jambes avant que tu puisses dire quoi que ce soit. “ Ça, c’est pour avoir volé le précieux collier de mon arrière-grand-mère et avoir pensé que tu t’en tirerais indemne. ”, puis, elle disparaît.


Le fouet à la main, tu bats les œufs dans un mouvement frénétique. Tu n’as jamais été très doué pour faire la cuisine, mais s’il y a bien une chose que tu réussis à merveille, ce sont les flans. Alors que t’adonnes dans ton dynamisme, tu es surpris par des bras féminins qui viennent entourer ta taille. Tu sens sa tête se poser sur ton dos et son sourire qui s’élargit. “ Je ne me souviens pas avoir réclamé de commis… ”, elle te donne une petite tape sur ton bras d’un simple revers de main dont elle seule à le secret. Qui aurait imaginé que, deux ans plus tard, la jeune femme au collier devienne la femme qui partage ta vie. A croire que le hasard fait bien les choses. Tu poses l’ustensile pour lui voler un baiser. Puis un autre. Et encore un. Le téléphone sonne. C’est pour toi. Qui peut bien t’appeler un jour pareil ? Nonchalamment, tu décroches le combiné “ Allô ? ”, surpris par la voix que tu entends à l’autre bout du fil, tu arques les sourcils. “ Monsieur Abdelaziz ? Ca pour une surprise ! ” … “ Mayssa ? En danger ? ” … “ Euh ou..oui mais… ” … “ D’accord, je vous recontacte au plus vite alors. ” … “ Oui ” ... “ Au revoir. ”, tu raccroches, encore surpris de la conversation que tu viens d’avoir. “ C’était qui ? ”, tu te tournes vers Anya, “ Tu sais, mon amie d’enfance dont je t’ai déjà parlé ? Elle a des ennuis. ”, vous avez beau ne pas vous être parlé depuis des lustres, le simple fait de savoir sa vie en danger te retourne le bide. Tu la connais May, avec son fort caractère. C’était évident que ce métier de procureur - bien qu’il lui aille comme un gant - aller lui attirer de sérieux ennuies. “ Son père m’a appelé pour que je la suive comme son ombre. Avec une énorme somme à la clef. Une somme que je n’aurai jamais pu penser obtenir un jour... ”, elle pourrait largement rembourser les dépenses médicales et vous payer un beau mariage. Le seul inconvénient, c’est que vous allez devoir déménager à Frankfurt.


Voilà maintenant cinq ans que tu assures la protection de ta plus vieille amie. Cinq ans que tu lui colles aux basques, que tu l’écoutes durant ses procès, que tu l’observes, que tu l’analyses. Dire que tu l’as aimé. Tu le sais maintenant. Ce n’était pas qu’une simple amitié. Pas pour toi en tout cas. Cette chose que vous ne vouliez pas qualifier était bel et bien une “romance”. Le fait de l’avoir vu évoluer, devenir une femme a remué de vieux souvenirs en ton sein. Elle est la première que tu as aimé et tu penses que quelque part, tu ne pourras pas effacer ce sentiment. Bien qu’il soit lointain et enfoui sous plusieurs couches de souvenirs, tu ne l’oublies pas. Tu la vois heureuse avec son fils. Ce petit garçon que tu n’aurais jamais pu lui donner, parce que ce n’est pas dans les règles. “C’est contre nature.”. T’aimes pas vraiment penser à ça. Tu es avec une femme qui te comble déjà et tu as l’impression de trahir sa confiance. Mais tu ne fais rien de mal pourtant. Alors pourquoi se sentir coupable ? Tu ne devrais rien à voir à te reprocher. Ce n’est pas comme si quelque chose se passait entre vous encore à l’heure actuelle. Tu aimes ta fiancée et il en sera toujours ainsi. Mais May aura également toujours une place privilégiée dans ton coeur, car elle ne te laissera jamais tomber. Tu pourras toujours compter sur elle, comme elle sur toi. Jamais moi sans toi. Jamais toi sans moi. Aujourd’hui, tu donnerais ta vie pour elle. C’est d’ailleurs en partie pour ça que c’est à toi qu’on a fait appel. Et peut-être aussi parce qu’elle n’aurait pas voulu d’une autre personne. Oh ça, elle lui aurait mené la vie dure pour sûr. Déjà qu’elle n’y va pas tout le temps avec le dos de la cuillère avec toi. Mais tu es le seul à la comprendre. A savoir comment elle fonctionne. Tu connais toutes les facettes de sa personnalité et tu as appris à vivre avec depuis bien longtemps. Certains pourraient t’appeler soumis, mais tu te considères plutôt comme un guerrier. C’est pas facile tous les jours d’être au service d’une princesse.