Son travail l’a toujours passionné. Se battre pour la justice, se battre pour que les criminels soient punis et paient leurs tord à la société, ça semblait être un travail fait pour elle. Jusqu’à ce que la société à défendre, l’État surtout, ne lui semble plus défendable, jusqu’à ce que “criminel” lui semble être un mot vite lâché, comprenant bien des gens ne le méritant plus, à ses yeux tout du moins. Depuis la naissance de son fils, depuis son retour à la Cour des juges, depuis qu’elle a réendossé ses responsabilités de procureure, elle en voit passer quelques affaires qui la font grincer des dents, elle commence à voir, doucement, les effets de l’avènement du second Reich sur la Justice. Elle a peur pour son impartialité, peur pour son intégrité, elle qui a toujours respecté la loi et fait en sorte de l’appliquer, si dure soit-elle, à tous. Il n’est pas rare que sa morale et ses nerfs soient mis à rude épreuve. Mais il arrive encore qu’arrivent sur son bureau des dossiers plus clairs, des affaires comme elles les aime: simples. Un voleur et receleur attrapé par la police avec certains des objets prétendument volés, un témoin assurant le reconnaître voilà ce qu’elle appelle une affaire simple. Il n’y a pas à se poser de question, à remettre en cause le fondement de son travail: la loi. Un voleur est un criminel, un voleur est poursuivi par l’État c’est-à-dire elle. La simplicité de la chose ne signifie pourtant pas qu’elle bâcle l’affaire, au contraire, elle se plonge dans le dossier, lit et relit les éléments offerts par la police, les témoignages, re-potasse ses livres de droit à la recherche de tout ce que son adversaire pourrait bien invoquer, tous les tours de passe-passe envisageable. Quand c’est elle qui le défend, l’État obtient toujours gain de cause. Quand c’est elle qui plaide, les juges finissent convaincus, les prisons se remplissent. Parce qu’elle ne veut rien laisser au hasard, à l’émotivité d’un juge, à la force de persuasion de l’avocat de l’accusé. Elle fouille le passé des témoins des fois qu’on remettrait en question la fiabilité de leur propos, elle se donne corps et âme à son métier et c’est facile, devant une affaire pareille, c’est facile d’oublier ce pour qui elle travaille, l’État qu’elle représente. Elle y prend plaisir finalement, en prenant des notes sur tous ce qu’elle trouve, sur tout ce qui mérite des recherches supplémentaires ainsi que tout ce qui lui paraît déjà très solide. Mais alors qu’elle est parfaitement concentrée, inconsciente des minutes, des heures mêmes qui peuvent passer, la plume de son stylo à encre grattant inlassablement le papier, les pages des livres et du dossier tournées et retournées d’une main pressée, un autre s’ennuie terriblement.
Elle oublie presque qu’il est là parfois. C’est censé être une bonne chose sûrement, c’est signe qu’elle s’est habituée ou alors que son travail l’accapare à tel point qu’elle en oublierait la présence de n’importe qui, que l’on pourrait faire irruption dans son bureau sans qu’elle ne s’en rende compte. Au début le moindre de ses soupirs l’agaçait, le fait même de l’entendre respirer semblait capable de la déconcentrer et il n’était pas rare qu’elle ait à le chasser de son bureau. Aujourd’hui, elle sait faire abstraction des bruits les plus faibles quoiqu’elle s’agace encore des vas-et-viens trop constants, des chutes d’objets ou bien sûr, des prises de paroles intempestives. Et puis, il y a une chose qui l’irrite toujours, qu’elle remarque sans faute, c’est quand on la fixe inlassablement, quand il la regarde fixement jusqu’à ce qu’elle décroche de ses papiers et daigne lui accorder un peu d’attention. Et ça marche à chaque fois, parce qu’elle ne supporte pas de se sentir observée de la sorte. “
Bon. C’est pas l’trou, mais j’m’ennuie un peu. T’es sur quoi aujourd’hui ? ” le plus simplement du monde il tire la chaise qui lui fait face et s’y installe. Elle n’y voit pas d’inconvénient, elle n’a pas de visiteur et il a bien le droit d’être installé confortablement. Ce qu’elle n’apprécie pas c’est le fait que cela signifie son intention de converser avec elle de façon durable. Alors qu’elle finit sa phrase en lui lançant un petit regard sous ses cils elle le voit attraper une pomme reposant sur son bureau. “
Un kidnappeur de chèvres ? Un mangeur d’enfants peut-être ? ” Elle marque un point sur la énième feuille noircie de son encre et referme le stylo avec une patience qui lui est d’ordinaire inconnue. “
Si tu t’ennuies tu peux prendre un bouquin et lire. ” Elle jette un coup d’œil à sa pomme. “
Une fois que tu auras fini de manger et que tu auras ôté toute trace de jus de tes mains bien évidemment. ” Certains de ses livres sont assez rares et elle ne tolère que modérément les tâches de nourriture sur leurs précieuses pages. Refermant l’un de ceux qui repose sur son bureau elle le fait voleter d’un petit geste de la main vers l’étagère correspondante. Pas un mot ne s’échappe de ses lèvres menues, elle n’en a pas besoin. “
J’ai bien peur que mon histoire ne soit pas aussi amusante que tu l’espères. ” Rien d’amusant pourtant à un vol d’animal et encore moins à une affaire de cannibalisme. “
Ce n’est rien qu’une petite affaire de vol et de recel. L’imbécile a laissé suffisamment de traces pour écoper d’une bonne peine de prison. ” Elle esquisse un petit sourire satisfait. Ce n’est pas à elle de mener l’enquête, ni même d’essayer de comprendre les motivations du responsable. Elle, elle ne fait que prendre les informations que l’enquête a produite et d’assurer la condamnation, coûte que coûte.
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