Novembre 2005

« C’est moi, je suis rentrée ! » La porte claque et la voie de sa mère fait sursauter Kora dans sa chambre. Elle jette un regard désespéré autour d’elle. Des centaines de plumes s’amoncèlent sur le sol, sur son lit et sur son bureau, l’oreiller vidé de sa contenance repose dans un coin. Ses cahiers de devoir sont ouverts mais ça fait déjà plusieurs mois qu’elle n’y jette qu’un œil distrait. Ils ont perdu tout attrait depuis qu’elle a découvert une nouvelle discipline, la magie. Au début, elle s’est demandé ce qui clochait avec elle. Comment se faisait-il qu’elle était capable de faire léviter son verre à quelques centimètres du sol ? Elle s’amusait à s’entrainer chaque soir en rentrant et s’améliorait. Aujourd’hui ça avait été lévitation de plumes. Elle ne savait pas encore comment elle allait expliquer l’éventrement de son oreiller à sa mère.
La jeune fille de douze ans sortie de sa chambre et alla embrasser sa mère, prenant bien soin de bien refermer la porte derrière elle. La mère fronça des sourcils en passant sa main dans les cheveux bruns de sa fille et en tira une plume d’un blanc immaculé. « Mais d’où est-ce que ça sort ça ? » Pas question de la mettre au courant. C’est son secret. Celui qui l’a fait se sentir différente, plus forte même que ses camarades au collège. Ils peuvent bien se moquer d’elle et de ses vieilles chaussures, ils ne sont pas comme elle, et ne le seront jamais.

Août 2011

Les paroles fusent et les deux femmes se déchirent. C’est Kora et sa mère dans l’escalier de l’immeuble. Rien ne va plus depuis que Kora a décidé qu’elle ne ferait pas d’étude. Elle ne veut pas continuer à s’ennuyer à aller en cours alors qu’elle peut faire cent fois mieux : vivre de sa passion, la photo. Elle répète en vain qu’il ne faut pas qu’elle s’inquiète, qu’il faut croire en son talent et qu’un jour elle pourra lui payer une belle maison avec un joli jardin où elle pourra passer sa retraite loin de l’agitation de la ville et de l’usine qui lui brûle les poumons et lui pique les yeux. Il faut qu’elle est confiance. Pour sa mère il n’en ait pas question, à dix-huit ans, on ne sait pas ce qu’on raconte, on ne sait pas ce qu’est la vrai vie avec les factures à payer chaque mois. Elle veut plus pour sa fille, elle mérite mieux que la vie qu’elle lui a offerte. Une vie passée à se priver, à regarder chaque dépense, à ne pas profiter des joies que la vie peut offrir. Le sujet dérive une nouvelle fois sur ses frasques passées. Oui, Kora a volé, mais c’était pour sa mère. Son casier judiciaire n’est certainement pas vierge mais ses intentions étaient louables. Malgré la magie qui coule dans ses veines, elle n’a pas été assez prudente lors de son dernier vol. Chacune essaye d’avoir le dernier mot, celui qui fera flancher l’autre. C’est donc inconsciemment que Kora s’introduit dans la tête de sa mère. Elle est énervée qu’elle ne la laisse pas vivre sa vie, qu’elle soit toujours sur son dos. Une illusion se forme dans son esprit, embrouillant la réalité que sa mère perçoit. L’escalier semble avoir disparue et elle tombe, trébuchant sur une marche qui n’existe pourtant plus dans son esprit. Elle est seule, abandonnée par sa  fille. La mère de Kora tombe en avant et son corps heurte plusieurs marches avant de s’arrêter inerte sur le sol.

Juillet 2013

Kora a senti le filon. Elle sait qu’elle peut enfin faire ce qu’elle aime. Tout à commencer par une photo qu’elle a réussi à prendre dans un coin de Berlin. Une photo compromettante d’un membre d’une famille de sang pur. Il n’y a rien de plus facile que de faire chanter un homme qui a tout à perdre si la photo parvient à être publiée dans la presse. Kora, elle, n’a absolument rien à perdre et tout à y gagner. Lorsqu’elle perçoit l’argent demandé, elle sait qu’elle ne manquera plus de rien. Elle compte bien mettre son don d’illusion à contribution, peu importe les souffrances qu’elle devra par la suite endurée. Les choses sont en train de bouger du côté des hautes sphères, cette période sensible promet du renouveau et aussi beaucoup d’actualité. Kora s’en fiche de la politique, ce qui l’intéresse, c’est de vivre de sa passion.

Janvier 2016

Les changements promis ne sont pas là. Kora s’est bien intégré dans ce nouveau monde et elle s’intéresse désormais aux enjeux de la politique et au statut réservé aux magiciens. Si elle gagne désormais mieux sa vie, les sangs purs la regardent toujours de haut et elle ressent l’animosité des mêlés. Elle ne veut pas vivre dans ce monde où l’injustice et les inégalités sont les maîtres mots. Elle n’a jamais trouvé sa place dans celui des humains, elle ne pouvait pas mener une vie normale et rejeté ce qui était une partie d’elle, la magie. Elle en a marre de ces régimes qui se succèdent et dont les souverains n’ont que pour objectif, avoir du pouvoir. Si Helmina a tenté de gommer les inégalités entre les hommes et les femmes, c’est bien là le seul point positif. Pas question que ceux qui les gouvernent soient tout puissant. La justice ne s’applique pas qu’aux faibles. Dans tous les cas, son talent de photographe n’est pas resté inaperçu et elle a été contactée par la FFH, un groupe considéré comme extrémiste. Ils lui ont proposé une place dans leur journal, avec un salaire intéressant. Kora n’a pas hésité longtemps. Elle savait qu’ils supportaient difficilement les magiciens mais son don pouvait leur être utile.

Juillet 2016

Les flammes l’encerclent. Sa robe rouge sertie de rubis, rougeoyant sous les flammes n’a sans doute jamais été aussi belle. Pourtant, c’est le dernier cadet de ses soucis. Elle se précipite à la fenêtre et ouvre celle-ci. Les flammes se font plus vives, plus voraces, transformant en cendre tout ce qu’elles touchent. Elle regarde en bas et aperçoit le sol plusieurs mettre plus bas. La magie ne peut rien pour elle. Elle n’a plus la force. Elle ne survivra pas. Elle le sait, elle le sent au fond de ses entrailles. Elle paye le rang de sa naissance, le sang pur qui coule dans ses veines. Car ce feu ne s’est pas allumé tout seul. Des larmes coulent le long de ses joues alors qu’elle sent ses poumons se remplir de la fumée toxique. Elle monte sur le rebord de la fenêtre, les jambes tremblantes et regarde une dernière fois le ciel, avant de se laisser tomber en avant. Elle sent le vent sur son visage et voit le sol se rapprocher. Un hurlement de terreur lui échappe juste avant l’impact.
Kora se réveille en hurlant, le corps moite et les draps chiffonnés. Elle fait ce cauchemar toute les nuits. Le palais des Freidrich a brûlé et une partie de la famille avec. Par leur faute, par sa faute. Elle les avait aidés sans penser aux pertes humaines. Elle avait été naïve de penser qu’ils auraient tous le temps de sortir et qu’ils auraient simplement eu la plus grande frayeur de leur vie. Il fallait désormais qu’elle vive avec ce sang sur les mains. Kora se tourne vers son réveille et réalise qu’il n’est que quatre heure du matin. Elle n’a dormi que trois heures et c’est comme ça depuis l’évènement. Dans quelques heures, il faudra pourtant qu’elle se lève car elle a rendez-vous avec un contact afin d’avoir des informations sur une des familles importantes du monde sorciers. La vie continue et elle croit toujours en son combat. Mais quand elle sera parvenue à ses fins, pourra-t-elle toujours se regarder dans la glace sans éprouver de dégoût ?