Le garçon observait d'un air distrait la vue que lui offrait la fenêtre de la tour. La forêt et les plaines se succédaient, un paysage qui ne faisait que lui rappeler la région qu'il avait quitté. Arrivé depuis peu, Andreas avait bien du mal à accepter l'idée qu'il vivait ici, désormais. Les dortoirs n'étaient pas inconfortables, mais il était habitué au confort de sa propre chambre, au palais familial, à la présence de ses parents et de sa famille dans leur grande demeure. Ici, il avait retrouvé ses sœurs aînées, mais n'avait pas réellement le loisir de les voir. Elles n'étaient pas d'un très grand soutien pour le petit garçon qui se sentait quelque peu nostalgique. Le château des Fuchs lui manquait, les réserves aussi. Il aurait volontiers laissé de côté son éducation pour rester là-bas, lui le garçonnet timide qui s'épanouissait dans la nature. Ici, enfermé entre les quatre murs froids du pavillon des purs, Andreas ne se sentait pas à sa place. A contre-cœur, le brun se détacha de sa contemplation, s'éloigna de la fenêtre pour récupérer ses affaires sur son lit. Il ne devait pas être en retard en cours, c'était mauvais genre, d'après son père. Andreas avait assuré à ses parents qu'il se tiendrait bien à Goldadler, et qu'il rendrait sa famille fière. Les Fuchs n'auraient pas apprécié de le voir se morfondre de la sorte. Un dernier regard vers la fenêtre, puis le garçon quitta la chambre. 


Un rire s'échappa des lèvres de la brune, bientôt rejointe par la petite blonde qui était assise à ses côtés. Les températures étaient redevenues clémentes depuis quelques semaines, alors que l'été commençait à réchauffer les cœurs. Andreas avait décroché de la conversation depuis quelques secondes déjà, perdu dans la contemplation des deux jeunes femmes qui lui faisaient face. Il était fasciné par leur beauté, par les rayons du soleil qui baignaient leurs visages d'une douce lumière. Nour et Eloïse étaient différentes en tout points. Elles ne se ressemblaient ni physiquement, ni mentalement. L'une était habitée par la passion, son tempérament de feu, délicieuse avec sa peau dorée et ses cheveux sombres. Si envoûtante que l'adolescent n'avait su résister à ses charmes, et que leur relation avait évolué d'une façon plus intime depuis plusieurs semaines. L'autre, au contraire, était plus discrète, plus douce, avec son visage de poupée encadré par ses cheveux blonds qui lui donnaient l'air d'un ange. Elle dégageait une telle fragilité que le brun avait toujours eu peur de la briser lorsqu'il la serrait dans ses bras. Deux opposées, mais égales dans le cœur du brun. Andreas ne savait pas ce qu'il avait fait pour mériter d'avoir ces deux jeunes femmes à ses côtés. Avec elles, il était devenu quelqu'un d'autre. Il avait grandi, s'était affirmé auprès des autres, auprès de sa famille. D'un garçon timide et sage, il était devenu un jeune homme plein d'assurance et sociable. Et malgré son grand cercle d'amis, c'était elles que l'adolescent préférait. Nour et Eloïse. Eloïse et Nour. A eux trois, ils formaient un trio inséparable, qui avait rendu jaloux bien des amis du jeune Fuchs. Bien plus qu'une amitié, personne si ce n'est eux ne réussissaient à comprendre leur relation. Ils semblaient former un tout lorsqu'ils étaient ensemble, et au contraire se sentaient incomplets lorsqu'ils étaient éloignés l'un de l'autre. Tous les trois différents, mais complémentaires, comme les pièces d'un puzzle. Andreas ne pouvait tout simplement plus se passer des deux adolescentes. Plus que des meilleures amies, elles étaient ses âmes sœurs. Mais bientôt, toutes ces habitudes qu'ils avaient adopté, tous ces moments qu'ils partageaient à Goldadler, tout allait disparaître alors qu'Andreas était amené à quitter l'Académie dans quelques semaines. Lui qui n'avait pas souhaité s'y rendre, quelques années auparavant, avait bien du mal à la quitter désormais. Il ne s'agissait pas d'une quelconque passion pour les cours, bien au contraire, Andreas n'était l'élève le plus studieux ni le plus intéressé, même s'il réussissait toujours à se débrouiller. Non, c'était tout ce qu'il allait laisser derrière lui. C'était, tout d'abord, Eloïse et Nour. Puis les amis qu'il s'était fait ici, tous les fous rires et les souvenirs qu'il avait eu. Les habitudes qu'il avait. Goldadler était comme un cocon pour le jeune homme, qui n'avait pas de questions à se poser dans l'enceinte de ces murs. Il allait devoir laisser derrière lui une partie de son adolescence pour se consacrer à quelque chose de plus sérieux. Et il n'en avait pas envie. La voix d'Eloïse le sortit de ses pensées. Les deux adolescentes l'observaient curieusement, ayant probablement remarqué que l'esprit d'Andreas avait dérivé. « Vous allez être perdues sans moi les filles. » Un sourire étira les lèvres du brun tandis que Nour se penchait vers lui pour lui donner une gentille frappe dans le bras. Si Andreas n'avait pas envie de partir, il savait malgré tout que son départ ne marquerait pas la fin de son amitié avec elles.


Il avait passé la nuit avec Eloïse, se souvenait encore parfaitement de la douceur de sa peau, de leurs corps entrelacés. Des étreintes qui étaient toujours plus douces que celles qu'il partageait avec Nour. S'il leur portait un amour égal, à l'une et à l'autre, son tempérament s'adaptait à celui de sa partenaire et il ne se comportait pas de la même façon avec les deux jeunes femmes. Il ne se donnait jamais autant de mal avec les autres personnes qui partageaient son lit, car les autres n'en valaient pas la peine. Elles seules trouvaient grâce à ses yeux. Tout l'amour qu'il était capable de donner, c'était à elles qui le dédiait. Il ne souhaitait pas laisser quelqu'un d'autre entrer dans sa vie de la sorte.
Ce matin là, Andreas était donc de bonne humeur, alors qu'il était retourné à Stuttgart. Dès lors qu'il avait franchi la grande porte du château familial, il avait su que cet enthousiasme ne persisterait pas. Ses parents l'attendaient dans le grand selon, un air ravi sur le visage. Avec les années, le jeune homme avait appris que ce qui ravissait ses parents ne faisait pas son bonheur à lui, généralement. Il s'était débarrassé de sa veste, et s'était tenu là, debout face à ses géniteurs. Il les avait écouté d'un air distrait, tandis que sa mère s'était lancée dans un discours sur l'importance de leurs alliances et sur la place que les mariages arrangés avaient dans la politique. Il l'avait laissé parler, sachant pertinemment où elle souhaitait en venir. Il avait vingt ans, il savait que son tour ne tarderait pas, alors que ses deux sœurs étaient toutes deux déjà fiancées. « Tout ça pour te dire que nous avons réussi à obtenir un très bon parti pour toi. Tu épouseras Marzia Monaci. » Un sourire amer vint s'installer sur les lèvres du jeune homme. Ce nom ne sonnait pas inconnu aux oreilles du brun. Son chemin avait déjà croisé à plusieurs reprises celui de l'italienne. Il était vrai qu'elle représentait un très bon parti, il ne pouvait pas dire le contraire. En plus de venir d'une famille riche et influente, la jeune femme était sublime et, de ce qu'Andreas s'en souvenait, intéressante. Dans d'autres circonstances, il aurait probablement été ravi de se retrouver marier à Marzia. Mais les souvenirs qui lui revenaient, à ce moment précis, l'empêchaient de se réjouir. L'italienne, il la connaissait très bien. Quelques mois, elle avait été sa petite amie, comme ils appréciaient de s'appeler à l'époque où ils étaient encore à Goldadler. Une relation courte, une amourette d'adolescents, mais qui ne s'était pas bien terminée, laissant entre les deux jeunes gens une animosité palpable. « La nouvelle semble te ravir Andreas, tant mieux. » Le jeune homme dû se retenir d'éclater de rire. La nouvelle était bien loin de le contenter, mais d'une certaine façon, la situation aurait pu être bien pire. Il n'avait plus eu l'occasion d'avoir une réelle discussion avec la brune depuis plusieurs années désormais, et la perspective de la revoir réveillait le joueur en lui. De cette situation, il en tirait un véritable challenge. Quelque chose qui allait l'amuser pour les mois à venir.


La date du mariage n'avait toujours pas été fixée, et cela convenait à Andreas. Nour ne cessait de le tarauder avec ses questions, des questions dont il n'avait pas les réponses. Il la sentait jalouse, plus jalouse qu'elle ne l'avait été de ses précédentes conquêtes. Les choses étaient différentes, bien sûr. Marzia n'était pas n'importe quelle femme, elle allait devenir la sienne, bientôt. Mais leur relation était compliquée. Il ne se passait rien entre les futurs époux, si ce n'est des pics partagés et une relation publiquement millimétrées. Andreas se complaisait à taquiner l'italienne, à lui envoyer des remarques auxquelles elle ne manquait pas de répondre avec autant de piquant. Elle avait insisté pour mettre en place quelques règles entre eux, pour que leur relation dupe quiconque ne partageant pas leur vie privée. Des règles qui dépassaient le brun, mais auxquelles il avait accepté de se plier pour ne pas créer de problèmes. Au fond, il savait que c'était pour le mieux, mais il détestait ne pas pouvoir faire preuve de la spontanéité qui le caractérisait. Aux côtés de Marzia, il sentait que quelque chose bloquait encore. Peut-être cette barrière, qu'elle avait érigé entre eux dès lors qu'elle avait appris leur union, et qu'il n'arrivait pas à franchir. Il était persuadé qu'ils auraient pu s'entendre, comme ils l'avaient autrefois fait alors qu'ils n'étaient que des gamins. Si dans un premier temps, l'idée de cette union ne l'avait pas enchanté, il s'y était habitué avec le temps et désormais il ne la trouvait plus si désagréable. Malgré tout, il ne comprenait pas la jalousie de Nour. Car jusqu'à présent, personne n'avait été capable de détrôner la brune et la blonde dans le cœur du jeune Fuchs. Et il était persuadé que personne n'en serait jamais capable. Après toutes ces années, la relation qu'ils avaient construit tous les trois était plus forte que tout. Plus forte que les alliances, plus forte que le temps. Et si pour certains, ce trio aurait pu paraître étrange, c'était comme ça qu'ils fonctionnaient, et qu'ils continueraient de fonctionner. Personne ne se mettraient jamais entre eux. Du moins, c'était ce qu'Andreas avait toujours pensé.