Chiyoko & Akira

you are a liar, a cheater, a sinner.

Il ne savait pas pourquoi, Akira, mais il avait un très mauvais pressentiment ce soir-là. Pourtant, tout semblait se dérouler comme d'habitude. Il finissait tard, comme toujours, dans son bureau où il coordonnait les hôtels dont il était à la tête. Il fallait faire tourner la machine le plus merveilleusement possible, même si cela impliquait parfois de sacrifier quelques précieuses heures de vie privée. Mais il ne comprenait pas, Akira, comment ce soir il pouvait se sentir aussi hésitant. Etait-ce à cause de l'agitation dans le monde des sorciers depuis que l'impératrice avait promulgué ses nouvelles lois ? Un frisson vint glacer son dos. Il n'osait pas imaginer la torture que certains sorciers devaient être en train de vivre, avec ce recensement plus que grotesque. Il griffonna une énième signature en bas d'un papier officiel, et son téléphone sonna. Comme quoi, même seul, il finissait toujours par être dérangé.

L'hôtel principal dans lequel se trouvait son bureau accueillait des clients plus prestigieux les uns que les autres. Les chambres et suites proposées n'étaient pas à la portée du premier venu, "hélas". Akira avait l'habitude de côtoyer du gratin, et quelque part ce n'était pas quelque chose qui le perturbait. Son éducation purement japonaise prônait le respect d'autrui et le recul sur les situations. Il était en quelque sorte un jeune directeur avec la tête sur les épaules. Sauf quand il s'agissait de sa famille, et notamment de sa jeune soeur Chiyoko qui, depuis peu, avait pris la sale manie de réserver la même chambre à ce même hôtel principal. Akira ne comprenait pas. Il ne savait pas pourquoi, et il ne se doutait absolument pas dans la voix pleine d'assurance de sa cadette qu'un lourd secret le plongeait dans l'ignorance, dans la souffrance. Il raccrocha le combiné après que la réceptionniste de l'accueil l'ait prévenu de l'arrivée de sa soeur à l'hôtel. C'était un comble, que de vouloir surveiller les faits et gestes de sa propre famille quand on se doutait de quelque chose. Akira voulait en avoir le coeur net. Chiyoko mentait comme elle respirait à chaque fois qu'elle l'appelait pour réserver sa fameuse chambre. Ni une ni deux, il sortit de son bureau en réajustant sa veste cintrée, et il quitta prestament l'étage pour se rendre à celui où sa soeur se rendait.

Elle était seule. A l'autre bout du couloir immense et étroit. Il voyait sa silhouette élancée se rapprocher de la sienne tout aussi distinguée. Chiyoko. Pourquoi cette chambre ? Pourquoi ce soir ? Pourquoi, tout simplement ? Il pressa le pas avant de se pencher en avant, comme le devait la coûtume japonaise. Il prit ensuite sa langue natale, sa langue dans laquelle il se sentait nettement plus à l'aise, surtout en présence de sa soeur nippone. « Chiyoko nee-san, as-tu fait bonne route jusqu'à Erfut ? » Mieux valait commencer en douceur, ne pas mettre directement les pieds dans le plat. Akira n'était sûr de rien et il se devait de se montrer le plus évasif possible. Elsa allait devoir attendre un peu avant de le voir rentrer à la maison. Au fief des Nishimura. Ce même fief que Chiyoko avait quitté il y avait de cela trois longues années. Et plus le temps passait, moins il ne reconnaissait sa propre soeur.