Installé inconfortablement dans un des canapés de la résidence familiale des Walgenwitz, Mietek effleurait du bout des doigts la missive qu'il venait d'intercepter. Recroquevillé sur lui-même, son index caressant négligemment ses lèvres, un tourment de réflexions l'envahissait, qu'il s'efforçait d'apaiser, ne souhaitant certainement pas être proie à quelconque impulsivité née de sentiments carnassiers. Cela faisait maintenant que quelques semaines qu'il résidait avec Caitriona. Une situation qui lui apportait uniquement des avantages, à son sens. Elle lui permettait de garder un œil sur la jeune femme qui constituait une importance presque vitale à ses yeux. Il l'aimait beaucoup trop qu'il ne voulait se le permettre, elle composait sa faiblesse, elle trahissait les promesses qu'il s'était faite suite au décès de sa sœur. Elle régissait son existence, d'une certaine façon. Heureusement, le pouvoir que la jeune Walgenwitz exerçait sur lui demeurait secret, du moins selon lui, et il agissait de manière à ce que l'effet qu'elle invoque en lui ne relève que de l'impassible.

Tout devenait plus ardu lorsqu'il s'agissait d'elle. Il était inapte à voir les choses clairement, et prendre les bonnes décisions relevait davantage de la chance que du bon sens qu'il usait constamment dans les autres volets de sa vie. Il se maudissait d'avoir raison, mais il savait que la mission que Caitriona avait pris sur ses épaules finirait par avoir des conséquences néfastes sur elle. Ou du moins, sur leurs idéaux. A moins qu'ils n'étaient plus que ses idéaux ? Il se devait d'éclaircir ce point, bien qu'il avait déjà son idée sur la position de Caity. Il la jugeait rongée par la culpabilité. Elle s'était attachée aux Freidrich, et l'incendie la ravageait. Il était certain qu'elle rêvait d'avoir pu sauver les marmots de sang-pur, êtres innocents à ses yeux, et de par l'affection qu'elle leur avait vouée, l'attachement qui s'était forgé entre elle et les désormais défunts, ses mœurs en devenait embuées par la tristesse et l'acidité des flammes qui avaient dévoré des vies.

Cette lettre en relevait long sur les états d'âme de sa colocataire, tout en la propulsant dans une situation encore plus délicate. Lui faire confiance ne serait définitivement plus possible pour certains si Mietek communiquait ces mots à d'autres. Caitriona deviendrait un danger, autant pour ses alliés, que pour elle-même. Le méritait-elle ? Pouvait-il y faire quelque chose ? Décidé, il se redressa et franchit les quelques pas qui le séparait de la pièce où se situait l'allemande. D'une voix sans sentiments, il alla droit au but, questionnant une fois qu'il fut assuré qu'ils étaient seuls : «  Pourquoi as-tu écrit à Aloisia ? »

can't see you fly away
feat Mietek Engelmann

Ta vie était devenue un sombre cauchemar, les monstres obscures hantaient tes songes et te poursuivaient lorsque tu ouvrais les paupières. Tu avais bien trop pleurer que pour pouvoir encore verser la moindre larme. L'absence ne faisait que creuser ce vide immense au plus profond de tes entrailles, un vide que rien ni personne ne parvenait à combler. Il n'y avait pas de mots pour t'aider à guérir, pas plus que d'incantation ne pouvait cicatriser cette plaie béante qui te perforait le cœur. Le manque était une souffrance constante qui pesait douloureusement contre ton cœur. Tu étais brisée. On prétendait que le temps pourrait guérir ce genre de blessure, mais tu ne t'en croyais pas capable, c'était une détresse bien trop intense pour que tu ne puisses imaginer t'y soustraire un jour. Et à cette perte s'ajoutait le poids de la culpabilité. Ton inaction était tout aussi répréhensible que si tu avais allumé la mèche. Tu avais tû la présence des ennemi, tu avais choisi la voie du silence et du mensonge, pour te préserver dans cette bulle d'amour que tu chérissais... Mais cette bulle avait finit par exploser et tu ne pouvais t'empêcher de penser qu'il aurait pu être aisé de l'empêcher, et si ce n'était pas de l'empêcher, au moins de les sauver de cette fin atroce. Tu entendais encore leur cris déchirer la nuit. Et l'odeur de chaire brûlée venaient encore soulever ton cœur de mille tourment. Tu t'accrochais au néant du firmament pour t'extraire de cette existence, tu te perdais dans la contemplation de l'océan interstellaire, chérissant ses précieuses étoiles en espérant que tes défunts soient quelques unes d'entre elles... Puis la peur que ces morts découvre la responsabilité de leur trépas te saisit et les larmes vinrent inonder ton regard. Ton front bascula contre la vitre alors que tu demeurais perchée sur l'appuie de fenêtre. Des bruissements de pas trop lointain pour que tu ne puisses les entendre. Et une voix qui s'élève dans le silence morbide. Pourquoi as-tu écrit à Aloisia ? Ton menton se tourne vers lui et tes orbes se plantes dans les siennes. D'un revers de les mains tu balayes les larmes qui ruissellent sur tes joues pour y creuser des sillons invisibles. La résiliation se lisait sur tes traits et pourtant, pourtant tu avais quand même tenté de lui livrer cette misseve, tu avais tenté de passé au delà de lui. Tu haussais vaguement les épaules, offrant un mouvement à la carcasse morne que tu étais devenue. Un reniflement, tu te redressais, tes pieds rejoignant le sol alors que tu te blottissais dans un pull de laine bien trop grand. Il lui avait appartenu, mais son odeur avait disparu au profit d'une détestable odeur de feu... Et pourtant tu gardais cette misérable loque, incapable de t'en défaire. Elle mérite de savoir. C'est... C'est sa famille. C'était. La colère qui finit par s'éteindre dans la triste réalité. Tu n'avais pas la force de le combattre. Ta main se soulève vers ta tempe douloureuse, avec cette curieuse impression que ton cœur bat à l'intérieur de ton crâne.

Elle ne composait plus que l'ombre d'elle-même, une pâle copie dénuée de toute énergie, dont s'évaporait un chagrin aux allures intarissables. Il aurait aimé détenir les mots pour l'extirper de cette torpeur, il aurait souhaité la secouer pour inculquer de la vigueur en son corps affaibli par le drame qui la consumait inlassablement. Néanmoins, en réalité, il ignorait quelle stratégie adopter. Et le fait que lui n'éprouvait aucune culpabilité à ce que ces êtres aient péri dans un brasier ardent lui offrait que peu d'armes pour combattre les démons de Caitriona. Il aurait aimé lui faire comprendre que ces vies pouvaient aisément être considérées comme des sacrifices pour un monde meilleur, le régime démocratique qu'ils souhaitaient. Que ces quelques vies permettraient à des centaines d'individus de jouir de l'existence qu'ils mériteraient. A travers les larmes creusant des sillons humides sur ses joues livides, il l'entendit répondre qu'Aloisia méritait de savoir, pour la simple raison que ces êtres partageaient son sang. Un fin sourire sans joie étira les lèvres du jeune homme. Ses aveux partaient peut-être d'une intention honorable, mais il trouvait l'idée tout bonnement folle. « Crois-tu vraiment, qu'elle mérite de le savoir ? » Il laissa planer un silence, durant lequel il scrutait son interlocutrice, à la recherche d'indices liés à son comportement. « Imaginons que cette femme soit dévastée par la perte de ses proches. Penses-tu que ce soit judicieux pour elle d'obtenir la certitude que l'incendie n'ait pas été accidentel ? Penses-tu raisonnable de lui donner une raison de partir en quête de revanche, et de métamorphoser assurément cet individu en soldat amer et rancunier ? Ne serait-il pas plus apaisant pour cette femme de ne pas obtenir la certitude que la perte de ces proches soient aux fins de ses ennemis ? » Il ne quitta pas du regard la jeune Walgenwitz. Mietek n'était pas quelqu'un à parler d'ennemis ou d'alliés, et depuis le départ de sa sœur, la revanche ne faisait plus partie de son vocabulaire. Il considérait la quasi intégralité de la population comme de vulgaires pions, qu'il avançait lorsqu'il le pouvait, n'ayant aucun attachement émotif à leurs finalités. « Je sais que mes termes paraîtront absurdes pour toi, mais on ne peut changer le monde sans essuyer des pertes. Ne peux-tu pas penser à tous ceux qui auront enfin le droit à la vie qu'ils méritent, grâce aux agissements qui se déroulent de nos jours ? » Il marqua une nouvelle pause, avant d'interroger, incertain : « Est-ce que tu veux toujours un changement de régime ? »

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feat Mietek Engelmann

Crois-tu vraiment, qu'elle mérite de le savoir ?  Imaginons que cette femme soit dévastée par la perte de ses proches. Penses-tu que ce soit judicieux pour elle d'obtenir la certitude que l'incendie n'ait pas été accidentel ? Penses-tu raisonnable de lui donner une raison de partir en quête de revanche, et de métamorphoser assurément cet individu en soldat amer et rancunier ? Ne serait-il pas plus apaisant pour cette femme de ne pas obtenir la certitude que la perte de ces proches soient aux fins de ses ennemis ? Il était devenu d'une résilience sans nom. Tu ne t'étais pas attendu à ce qu'il se laisse engouffrer dans sa haine des autres, au point qu'il ne puisse pas voir ce que ce groupe immarcescible était en train de faire de lui. Tu te demandais comment tu avais pu t'engager dans une cause où régnait une violence qui n'épargnerait personne pour faire entendre sa voix. Ton mon s'écroulait, il ne s'agissait plus qu'une dystopie, un univers dantesque dans lequel tu étais en train de te noyer. Tu le regardais sans le reconnaître. Depuis quand était-il devenu ce tortionnaire? Je sais que mes termes paraîtront absurdes pour toi, mais on ne peut changer le monde sans essuyer des pertes. Ne peux-tu pas penser à tous ceux qui auront enfin le droit à la vie qu'ils méritent, grâce aux agissements qui se déroulent de nos jours ? Est-ce que tu veux toujours un changement de régime ? Ta frimousse se secouait à la négative alors que tes doigts venaient contre tes lèvres. La peur et la tristesse dévorait tes orbes d'un bleu terne, azurin. Tu n'avais qu'une seule envie, fondre en larme, abandonner. Tu t'éloignais de lui, traversant la pièce pour te poster devant la cheminée en marbre tavelé. Tu laissais le silence s'immiscer entre eux. Tu n'étais plus certaine de savoir ce que tu devais penser de tout cela. Pas comme ça, Mietek. C'était que des mômes, putain, des mômes. Il n'avait rien fait à personne et vous les avez bruler vifs. Est-ce qu'autant de souffrance était nécessaire pour que l'attentat soit reconnu? Ta voix se perd, l’émotion te submerge à nouveau. leurs cris résonnent. Tu ne tiens plus sur tes jambes, tu chaloupes doucement et tes main viennent se retenir contre la dite cheminée. Tu crèves de douleur, encore aujourd'hui, tu as l'impression qu'un poignard vient de transpercer ton cœur. Ton visage s'abaisse, les boucles se mouvement pour venir obstruer ton visage. Je ne peux pas vivre avec ça... Personne n'est dupe, personne ne croira en un accident, pas si vous voulez que cela ait du sens... Alors oui, bien évidemment qu'elle doit l'entendre... Et je préférerais que ce soit de moi... Elle me faisait confiance.  Tu ne te rend pas compte des vérité que tu lui livres et du danger de tes propos. Tu laisses ton cœur et la souffrance prendre la parole.

Son regard demeurait fixait à elle, bien qu'elle s'éloignait progressivement de sa personne. Il repoussait tous les doutes, toutes les craintes qui menaçaient violemment de l'envahir. Il ne pouvait la voir sombrer, il ne saurait être spectateur de sa noyade dans un océan mortel de souffrances, de douleurs, de chagrin. Il se vouait à la protéger de tous les maux, comme il s'était promis de sauver sa sœur. A cette pensée, il sentit son cœur se serrer douloureusement. Sa parole ne valait-elle que si peu en réalité ? Il s'était juré de ne jamais s'éprendre de missions frisant l'impossible, de ne jamais affectionner quelqu'un au point de vouloir la préserver des malheurs de la vie. Il avait tant souffert de n'avoir su sauver sa sœur, et désormais, il s'imposait le rôle de sauveteur de Caitriona. Il ne pouvait s'en empêcher, mais il se haïssait tout entier pour être tant happé par ses sentiments et lui faire perdre ce qu'il estimait être sa raison pour elle. Il enviait l'impassibilité.

Son cœur martelait violemment sa poitrine désormais, son rythme cardiaque s'intensifiait alors que sa tête hochait en signe de dénégation. Elle ne pouvait accepter la mort de ces enfants, elle ne pouvait plus partager les mêmes idéaux que lui. Une limite semblait avoir été franchie qui remettait tout en question, qui la révulsait des mœurs qu'elle avait jadis approuvés. Il pinçait le coin de sa lèvre, avant de répliquer : « Tu n'as jamais eu le pouvoir de les sauver, et tu ne pourras jamais refaire le passé. Tu ne pourras pas rattraper l'attentat, tu ne pourras pas compenser les sentiments que l'incendie inculque chez les autres. » Il n'était pas tendre dans ses propos, son ton était dénué de toutes émotions, tant il repoussait celles-ci. Il ne désirait aucunement que Caitriona ressente sa peur, et encore moins son amour pour elle, même lorsque sa détresse le brisait sans cérémonie. Elle se livrait intégralement au jeune homme. Il en était fier, mais il savait pertinemment que cela constituait une bénédiction que ce soit lui qui perçoive ces propos, car un autre aurait sans aucun doute sorti de ses gonds. « Tu dois vivre avec ça. Tu vas vivre avec ça. Et tu ne peux pas envoyer cette bombe, Caitriona. Tu réduirais ce qu'il reste de ton monde, tu ferais souffrir ceux qui t'entourent et ceux que tu affectionnes encore. Est-ce que c'est ce que tu veux ? Nous faire tous payer ? Tu ne feras aucun bien à Aloisia non plus, crois-moi. Ce n'est pas elle qui mérite de savoir ça, c'est toi qui veut avoir la conscience plus tranquille en divulguant des informations extrêmement dangereuses et dévastatrices pour tous ceux concernés. C'est ce que tu veux ? » Il plongeait son regard dans le sien, constatant le vide qui y régnait. Parfois, il avait l'impression que l'allemande agissait tel un véhicule enclenché sur le pilote automatique, bien que subissant quelques écarts destructeurs de temps à autres. « Tu veux notre mal ? Tu veux que je paye pour ça ? » Ses derniers mots à peine articulés, il souhaitait vainement les récupérer, conscient que sa réponse pourrait le heurter plus que de raison.

can't see you fly away
feat Mietek Engelmann

Les propos s'extirpaient de ses lèvres, t’assénant de coup douloureux, comme des lames qui se plantaient en ton cœur. Et pourtant tu ne lui en voulais pas, car les mots qu'il prononçait retenait une part de vérité. Tu ne savais pas, tu ne savais plus. Était-ce réellement de l'empathie que tu ressentais à l'égard de la famille Freidrich, ou était-ce ta propre culpabilité que tu étanchais en voulant expier tes fautes? Tu n'étais plus certaine. Et cela ne faisait que renforcer ce sentiment de vide, de manque, qui te déchirait les entrailles, cela ne faisait qu'amplifié la douleur  qui entravait ton cœur, cela ne faisait que rendre chaque souffle plus douloureux que le précédent. Puis finalement, ces derniers mots, qui résonnèrent comme un écho, qui éveillèrent cette foutue colère, dévorante, assourdissante, fulgurantes et fichtrement douloureuse. Ton regard se relevait pour se planter dans le sien, un regard animé par des flammes de haine et de colère. C'était donc tout ce qui l’intéressait? L’avenir de ce groupuscule? Son avenir? Alors qu'il avait participé délibérément à la chute d'une famille entière. Bien évidemment que je me soucie de toi, mais bordel Mietek, vous avez décimé une famille toute entière, vous avez tuer des enfants. Et j'y ai participé bien malgré moi. cela nous dépasse, cela nous dépasse complètement... Qui sommes nous pour décidé de la vie ou la mort d'une famille entière? Qui sommes nous pour tuer des enfants? Est ce que tu te rends seulement compte de ce que nous avons fait? Du sang que nous avons sur les mains? Les mots étaient douloureux, dégueuler avec de la rage et un dégoût que tes traits ne parvenaient pas à dissimuler. Tu te redressais hochant la frimousse à la négative. Mais ne t'inquiète pas, tu seras sain et sauve. Ne t'inquiète pas, tu seras libre et vivant. Tu lui saisissais le visage, plantant ton regard dans le sien. Mais seras-tu capable de vivre avec ce que tu as fais? Seras-tu capable de te regarder dans le miroir? Les larmes roulent sur tes joues pour venir crever sur tes lèvres. Tes pouces caressent délicieusement ses joues. Nous avons perdu une partie de notre âme dans les flammes de ce désastre.