maison familiale des dulac, aix-la-chapelle, septembre 2012

Elle ne se souvenait pas de la manière dont elle l'avait appris - peut-être son oreille s'était-elle perdue à l'écoute de quelques conversations, ou peut-être qu'un de ses espions le lui avait répété. Il était même possible qu'on l'ait informé de manière tout à fait officielle - mais secrète. Elle s'était sentie trahie, blessée dans un premier temps. Elle avait tout fait pour montrer sa valeur, prouver qu'elle avait les compétences pour se débrouiller, être indépendante, sortir des sentiers battus et s'en sortir. Mais elle n'avait pas été étonnée, après tout, c'était une coutume ancestrale, impérissable et aucune femme de sa famille n'y avait échappé. Pourquoi, elle, aurait-elle eu cette chance ?
Elle était promise. Promise. Cela sonnait à ses oreilles comme une sentence, une condamnation à perpétuité. Elle ne pouvait s'empêcher de penser : qu'avait-elle fait de mal pour mériter ça ?
Sans plus tarder, elle avait cherché à savoir qui était l'homme auquel ses parents la destinaient. Elle savait qu'il ne servait à rien de le leur demander, ils aurait feins l'ignorance. Ils savaient, parce qu'elle en avait souvent parler, qu'elle refusait cet état, cet avenir... Raison pour laquelle, probablement, ils ne s'étaient pas directement adressés à elle. Elle avait donc dû jouer de ces atouts, de son audace, pour trouver qui était l'homme en question. Le secret était bien gardé - on devait appréhender sa réaction, jusqu'où était-elle capable d'aller ?
Quand elle avait enfin découvert qui serait son futur époux, la blessure avait été encore plus grande, plus douloureuse. Elle s'était sentie humiliée et elle en avait aussitôt ressentie du mépris pour ses parents, un soupçon de haine, peut-être, même. Son meilleur ami, comment avaient-ils pu oser ? L'homme avec lequel elle avait grandit (ou presque), à qui elle avait confié nombre de ses secrets, de ses peurs et de ses interrogations... Avec qui elle avait fait les 400 coups aussi, lorsqu'elle était adolescente. La tristesse qui s'était emparée d'elle n'avait pas d'égale. Ses parents, par soucis de respecter les coutumes, par soucis de garder une position enviable, et par orgueil, venait de détruire la seule relation saine et honnête qu'elle n'avait jamais eu. Au delà des ententes, des alliances et de la relation entre les deux familles... Elle se doutait qu'il y avait dans cette décision une stratégie, un objectif sous-jacent. Eux qui n'avaient jamais vu cette relation comme bénéfique voulaient aujourd'hui la marier à cet homme. La rancœur qui grandit en elle, au fil du temps, transforma son amitié-amour pour lui en désintérêt et aversion. Elle n'avait plus qu'une idée en tête : tout gâcher.

night club, berlin centre, novembre 2014

Il faisait terriblement chaud, elle en transpirait mais elle se sentait bien. Dans sa robe près du corps, bleu corbeau aux reflets argentés, elle se sentait comme un oiseaux rare. Précieuse, unique, volubile. Elle se sentait revancharde. Alors qu'elle observait les danseurs sur la piste, certains en transe, une voix rauque vint lui chatouiller l'oreille. « Puis-je vous offrir un verre, mademoiselle ? » Elle frissonna, piquée au vif, et se retourna. Il était accoudé au bar, beau brun, ténébreux, le regard brillant et intense. Un sourire carnassier illuminait son visage. Elle eut un second frisson et tourna sur son tabouret pour se mettre en face de lui. « En temps normal, je n'accepte pas de verres des inconnus... » répondit-elle, lentement, en souriant. Elle sentait une légère excitation montée. Il était bien habillé, il semblait sûr de lui par son allure, sa stature. Que venait-il faire dans ce trou à rat, légèrement miteux ? S'accoquiner avec la basse populace ? Elle eut le sentiment qu'il avait quelque chose à cacher. N'était-ce pas ce qu'elle-même faisait depuis près de deux ans maintenant ? Il fit un signe au barman, du bout du doigt. « Considérons que nous ne sommes pas en temps normal, voulez-vous ? » Elle acquiesça, fébrile. Ce sourire, ce sourire... Elle s'en emparerait bien sur le champs. Il but une gorgée de sa boisson et elle aperçut une marque, comme un tatouage, sous son avant-bras. Quelque chose d'amérindiens, peut-être... Elle trouva cela sexy, ajoutant une touche de mystère supplémentaire.

Du coin de l’œil, derrière son nouvel interlocuteur, elle vit une conquête masculine de début de soirée s'avancer vers elle. Hors de question qu'il vienne gâcher cet échange maintenant, pour des jérémiades sans importance. Discrètement, ces doigts s'agitèrent dans son dos, d'abord lentement puis deux gestes rapides. L'homme saoul trébucha comme si quelqu'un venait de lui faire un croche-pieds. Parfait. Elle pouvait retourner sans s'inquiéter à son nouvel objectif : mettre l'homme au tatouage dans son lit. Ce soir.