Deux juillet mille-neuf-cent-quatre-vingt-onze.
Le soleil était beau, le soleil était chaud.
Et un petit rayon de ce soleil avait vu le jour pour la première fois.
Calme, très étrangement calme, l’enfant était endormi dans les bras de sa mère.
Douce délivrance d’enfin percevoir ce petit visage délicat,
Après des heures. Des heures de travail.
La mère était fatiguée, exténuée.
Pourtant, elle ne pouvait détacher ses yeux du petit enfant.
Elle était belle, rayonnante de santé.
En un souffle, des mots se glissèrent de sa bouche.
Elle s’appellera Siggy.

Calme-toi Siggy, calme-toi. Le souffle court, battement de cœur à son summum, la jeune femme courrait, aussi vite qu’elle le pouvait. Parce qu’elle s’était fâchée, pour une énième fois contre son père. Elle avait décidé alors qu’il était temps pour elle de partir, de se faire oublier, de disparaître. À peine âgée de douze ans, elle était déjà bien jeune pour avoir de tels pensées et pourtant… Elle ne se sentait pas à sa place. Elle se savait étrangère de tout ce qu’on attendait d’elle. Alors fuir lui avait semblé la meilleure solution. Pas la moins dangereuse, pourtant. Les bois étaient épais, le sol instable, et elle eut bientôt fait de perdre pied. Douleur vive au contact de la terre et des feuilles, elle ne s’arrêta pas là. Tournoyant dans les feuilles, elle tomba au plus profond d’une colline qu’elle venait de gravir. Douleur, douleur, douleur. Elle s’en mordit rapidement la lèvre pour éviter les larmes de se former. Pourtant, elle lutta en vain. Ça faisait si mal. Si mal d’échouer, encore une fois. Elle était seule, si seule dans ce bois. Et la nuit tombait, doucement mais bientôt il n’y aurait que noirceur. Elle était perdue, seule et vulnérable. La belle affaire. Et le pire, c’est qu’elle ne pouvait même pas demander d’aide. Cette fois-ci, elle était laissée à elle-même, apeurée et frigorifié. Alors, elle se laissa aller. Ses larmes coulèrent comme l’eau coule dans les rivières. Voilà, c’était la fin. Voilà, si vite elle serait oubliée. Voilà, si vite elle serait remplacée. Et pourtant, son genou, ses mains faisaient si mal qu’elle n’arrivait pas à y penser. Elle aura pleuré, beaucoup pleuré, trop pleuré. Jusqu’à ce que Morphée vienne la chercher. Elle croyait pour toujours, et pourtant c’est dans son lit, bien au chaud qu’elle se réveilla. Sa mère à son chevet, son père en retrait. Elle avait encore mal, la douleur ne c’était pas effacé, seulement ses larmes qui s’était dissipés. « Je… Je n’aurais pas dû partir. » Sous cette voix enfantine, sa mère leva la tête, fatiguée du manque d’heures de sommeil et pourtant elle observa une petite étincelle dans ces yeux. « Oh Siggy. » Elle ne paraissait pas fâchée, seulement inquiète. Et la jeune fille savait pourquoi. Et elle en était sincèrement désolée. « Je n’ai pas réfléchis, je regrette. » Sa mère, son ange, porta sa main jusqu’à sa joue pour caresser son petit visage, un sourire aux lèvres. « Tu es là maintenant, c’est l’important. Repose-toi maintenant, tu en as bien besoin. » Oh oui, elle en avait bien besoin. Ses yeux fermaient tout seuls, les mots avaient été difficile à prononcer. Alors elle se laissa bercé par cette fatigue, retrouvant le sommeil qu’elle avait délaissé quelques instants.

La magie est si belle.
Quand on la comprend, quand on la maitrise.
Bonne élève, toujours appliquée.
Elle aura su se démarquer.
Pas seulement par son talent certain.
Parce qu’elle aime réellement la magie.
Pure, dure. Mystérieuse.
Elle comprend tout ça, elle parle se langage.
Elle se laisse guidé par cet intuition,
Par la passion.
Elle bouge, elle vit de celle-ci.
Petite fleur, ayant enfin trouver sa voie.
Son talent.
Car la magie est belle.
Car son âme est belle.


Robe immaculée, cheveux si bien peignés. C’est à peine si elle se reconnait. Miroir trouble, vision confuse. Non, ça ne peut pas être elle. Cette femme est trop belle. Pourtant, elle reconnait le visage de sa mère, derrière son épaule. Elle s’en sa présence près d’elle. C’est donc bien elle. Une jolie femme qui s’apprêter, bien malgré elle à se condamner. Fiancée depuis bien des années, et bientôt mariée… Mariée. Elle ne peut pas le croire. Pas maintenant, pas déjà. Adieu bonheur, adieu liberté. Bonjour mariage, bonjour responsabilités. Mais elle n’y croit qu’à moitié. Fière Fuchs, elle restera elle-même, elle restera renarde. Pour le meilleur et pour le pire. Un frisson parcourt son échine. C’est trop réel pour elle. Elle qui rêvait de se voir journaliste. C’est peu dire que sa carrière tombe à l’eau. Car ce soir, elle sera mariée. Ce soir, elle sera Löwewald. Ce soir, elle sera prisonnière de ce mariage. Mais pour une fois, une seule fois, elle fera honneur à son père, honneur à son nom. Elle fera finalement ce que l’on attend d’une femme. La liberté n’était que le prix à payer. Une once de regret dans la gorge, les larmes qu’elle retenait malgré elle, elle prononça les vœux sans broncher. Plus court qu’elle l’avait imaginé, ce mariage laissa bien vite la place à un beau banquet luxueux. Faux sourire, faux semblant, la jeune Siggy avait l’air au comble du bonheur. Pourtant, la réalité était autre. Elle n’était pas heureuse Siggy. Car c’était le commencement. Le commencement d’une vie à deux qui serait comme une éternité. Une éternité qui prendrait fin seulement à son dernier souffle.

Ma douce, ma tendre.
Ma si chère sœur.
J’ai bien peur de te dire que tu me manques. Ton sourire, tes mots apaisants. J’en aurais bien besoin, à cet instant. Ils doivent s’en douter, mais j’ai mal, tellement mal. Cette seconde perte était de trop, je n’en peux plus. Je ne laisse rien paraitre, bien entendu, car je ne peux pas leur permettre de me voir ainsi vulnérable. Mais la douleur est profonde. Tous les deux, ils sont partis avec une partie de mon âme. Une partie que je ne rêverai jamais. J’aurais aimé dire que leurs morts ne m’affectent pas. Mais j’en suis incapable. Je les ai portés trop longtemps pour ne pas y avoir été attachée, trop longtemps pour ne pas les avoir aimés. Mais pire encore, c’est qu’on me croit incapable d’enfanter. Qu’on m’en veut pour leur mort. Que je m’en veux. Après tout, peut-être est-ce moi le problème dans tout cela. Peut-être que je ne suis pas destinée à être mère après tout. J’aurais aimé qu’il en soit autrement, mais ais-je vraiment la force de lutter contre un autre échec de la sorte ? J’en doute. Et ça me désole. Je t’en prie, ne me dit pas que le prochain sera le bon. Je n’en peux plus de ces mots. Nul ne peut le savoir, nul ne peut le prédire. J’espère que le prochain sera le bon, pour tout te dire, mais je ne peux me faire d’espoir. Pas après une telle déception.
J’en profite aussi pour prendre de tes nouvelles, comme je me fais du souci pour toi. Tu es si loin maintenant, j’ai peur qu’il ne t’arrive quelque chose malgré tout. Je tenterai de me libérer pour te rendre visite. Si l’on me permet de quitté ma tour, ma prison pour aller saluer ma sœur. Autrement, je te le demande à genou, viens me voir. Dis-moi ce que je dois faire pour m’acquitter de mes tâches. Pour faire ce que l’on attend de moi. Car je ne sais plus, je suis perdue.
À bientôt, je l’espère.
Siggy.