echoes of the past

 « Tu ne vas pas jouer avec les autres ? » La petite fille secoua la tête en signe de négation. La présence des autres la mettait mal à l'aise. Elle se sentait mieux en petit commité, dans l'ombre de ses frères et sœurs qui avaient bien plus d'intéret pour la vie et les gens qu'elle. Ewa baissa la tête vers ses pieds, et sa cascade de cheveux bruns clairs cacha son visage, les cernes sous ses yeux d'azur. Elle était belle, Ewa, mais surtout inquiétante. Sa mère répétait sans cesse qu'elle la savait différente alors même qu'elle était enceinte. Quelque chose de plus secret, plus mystérieux, plus sombre aussi émanait d'elle. Mais sa famille était patiente et compréhensive. Ce fut sûrement pour cette raison qu'Ewa ne deviendrait jamais quelqu'un de fondamentalement mauvais. Parce qu'on l'avait aimée ainsi.

may we meet again

 « Tu l'as vue cette pimbêche ? Non mais regarde comment elle marche ! Elle est ridicule. » Un sourire amusé et mauvais naquit sur les lèvres d'Ewa qui regarda la sorcière pure s'éloigner dans la rue bondée de sa démarche chaloupée. C'était tellement surjoué que c'était risible - mais charmant, il fallait bien le reconnaître. Elle posa son regard clair sur son amie qui, bras croisés, passait son temps à critiquer tout ce qui bougeait.  « Tu tournes en boucle. T'es jalouse, Tessa, c'est tout. » fit-elle remarquer en prenant elle aussi le chemin qu'avait emprunté la ravissante créature. Son amie – la seule par ailleurs – la rejoignit en courant et lança d'un air offusqué :  « Quoi ? N'importe quoi ! »  « C'est ça. Arrête de les idéaliser, sérieusement. Si on n'est pas acceptés dans cette école, c'est parce qu'ils s'en foutent de nous. Et ils ont pitié des riches mêlés, alors ils les acceptent pour se donner bonne conscience. On n'existe pas pour eux. Ils vivent dans des châteaux et se marient entre eux. Une belle bande de dégénérés. »  « Et toi tu joues encore les connasses, t'es jamais satisfaite de rien ! » Ewa serra les poings. Cette conversation revenait sans cesse sur le tapis depuis leur rencontre. Cette fois, elle commençait franchement à être en colère.  « Tu sais quoi ? Je m'en fous. Continue de critiquer ces abrutis arrogants en espérant secrètement qu'ils poseront les yeux sur toi si ça t'amuse. On a plus douze ans, j'ai grandi moi. J'ai arrêté d'espérer quoi que ce soit de bon d'eux. » A ces mots, Ewa accéléra encore le pas pour lui échapper. Tessa, choquée par la froideur dont son amie venait de faire preuve, ne chercha de toute façon pas à la suivre. […]  « Je … Je n'ai pas le droit ... » gémit la jeune femme entre deux baisers, la voix tremblante et incertaine. A la fois triste et résignée, Ewa glissa ses doigts le long de son cou, dans ses cheveux, attrapa son visage superbe entre ses mains ;  « Je sais. Personne ne saura jamais. Je te le jure. » Et les deux sorcières s'embrassèrent encore, mêlant leurs doigts, leurs souffles saccadés, leur terreur et l'adrénaline qui battait dans leurs veines. Cette fille plaisait à Ewa depuis trop longtemps, la cible des critiques de Tessa. Sans doute lui avait-elle plu au premier regard. Mais elle était pure, elle était riche, et vouée à un avenir radieux avec un mari choisi alors qu'elle n'était qu'à l'état d'embryon. Quant à Ewa, elle s'était destinée aux ténèbres et à la haine pure et dure de ce statut que possédait la créature qui soupirait entre ses bras. Elles ne seraient jamais ensemble, mais cette maigre heure partagée dans le secret, elles la vivraient toutes les deux et l'emporteraient dans leur tombe. Demain, la pure aurait ke cul posé dans une des académies de magie les plus prestigieuses du monde, et Ewa serait chez elle, à ruminer son dégout pour le monde, et aujourd'hui appartiendrait déja au passé.

death is not the end

 « Oh mon Dieu, Oh mon Dieu, non … Jurich, réveille-toi ! Je t'en supplie, répond-moi ... » sanglota Ewa qui essuya ses larmes d'un geste rageux de la main. Rien à faire ; elle avait beau le pousser, le gifler, tirer sur ses vêtements et hurler, le jeune homme ne bougea pas d'un pouce. La terreur s'empara d'elle.  « Jurich ! Jurich, je t'en prie ! » cria-t-elle encore. Ewa s'effondra sur le cadavre de l'adolescent qu'elle venait d'assassiner. C'était un accident, bien sûr, mais ça n'en n'était pas moins un meurtre. Son propre cousin, jurich Kaddätz. Le pire dans tout ça, c'était sûrement qu'Ewa ne pleurait pas la mort du garçon, mais bien parce qu'elle avait peur de ce qui allait lui arriver à elle maintenant. Parce qu'au fond, elle ne le connaissait que peu. Elle se fichait pas mal des gens de manière générale, s'y attachait difficilement. Quant à la limite entre le bien et le mal, elle était floue à ses yeux, voire inexistante. Une main se posa sur son épaule : Ewa sursauta brutalement. Elle leva ses yeux embués de larmes vers la silhouette qui se tenait à ses côtés, un homme d'une quarantaine d'années au regard cerné et aux traits tirés. D'instinct, elle fut prise d'une bouffée d'affection à son égard. Docilement, Ewa arrêta de pleurer et laissa retomber ses bras le long de ses flans pour laisser l'homme s'approcher du corps. Le reste se passa très rapidement ; les secours arrivèrent mais l'homme seul se présenta aux sorciers médecins qui confirmèrent qu'il n'était plus possible de sauver l'enfant. Il affirma avoir trouvé le corps seul au milieu de l'allée sombre et qu'il n'en connaissait pas l'identité, ayant jugé bon de faire appel à eux directement. Ce fut assez pour l'équipe médicale qui décréta qu'un gamin mêlé traînant seul dans une allée sombre et malfamée comme celle-ci n'était pas un cas prioritaire. Au bout de la ruelle, cachée sous une cape immense, invisible tel le fantôme qu'elle était, une Ewa tremblante et lasse attendit le retour de son sauveur inconnu appuyée contre le mur, secouée par des haut-le-coeur. Les mains caleuses de l'homme se posèrent sur ses joues pour l'obliger à relever les yeux vers lui.  « Je l'ai tué. J'ai tué mon cousin ... » balbutia-t-elle, perdue et décontenancée. Sa voix n'était qu'un murmure. Son esprit, lui, était déjà loin.  « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »  « C'était un accident, il ... me suivait, il voulait dire à mes parents que je ... peu importe, et je l'ai poussé, il est tombé et s'est cogné la tête ... » Ewa pinça les lèvres. Même les mots peinaient à franchir les barrières de sa bouche pulpeuses.  « Tout va bien. Tu peux pleurer. C'est normal d'avoir peur. Tout ira bien, d'accord ? Tu vas rentrer chez toi et ... »  « Je n'ai pas peur. » le coupa-t-elle. L'inconnu fronça les sourcils et l'observa attentivement.  « En fait … Je ne ressens pas grand chose. » Ewa sembla le découvrir en même temps que lui. Un sourire se dessina sur les lèvres de l'homme. Son cœur fit un bond dans sa poitrine.

hello darkness, my old friend

Ewa observait la tombe de son cousin, le visage inexpressif, droite comme un i. L'enterrement avait été triste à pleurer, mais pour elle, ce n'était que culpabilité et remords. Après tout, c'était juste un garçon curieux. Il n'avait pas voulu la suivre pour lui faire du mal et la balancer aux parents par fierté. C'était pour la protéger. Le monstre se détourna du nom gravé sur le marbre lorsque sa sœur aînée la rejoignit et lia ses doigts aux siens.  « Qu'est-ce qu'il y a, Ewa ? Tu es plus bizarre que d'habitude. J'ai du mal à croire que ce soit à cause de Jurich, vous n'étiez vraiment pas proche. » La jeune femme haussa faiblement les épaules.  « Je dois aller travailler. »  « Attend, Ew. Tu sais que tu peux me parler, que tu peux tout me dire. Je te protégerai, quoi qu'il arrive. »  « Je n'ai rien à dire. »  « C'est encore Niklas ?  » Ses joues tournèrent à l'écarlate et son cœur s'emballa. Niklas n'était autre que l'homme qui l'avait trouvée dans la ruelle. Il l'avait gentiment ramenée chez elle, et depuis leurs routes ne cessaient de se croiser. Ewa était fascinée par cet homme mystérieux et obsédant, dont elle avait vaguement parlé à sa sœur qui n'appréciait nullement qu'un homme puisse avoir une influence aussi néfaste sur sa cadette. Heureusement, elle avait omis de dire qu'il avait le double de son âge.  « Tout va bien, je t'assure. On se voit bientôt, d'accord ? » Et à ces mots, la jeune femme transplana en laissant sa sœur plantée devant le tombe. A ses côtés, le reste du monde n'avait plus d'importance. Elle oubliait ses frères et sœurs, l'enterrement, la tombe, ce qu'elle avait fait, le reste du monde. Avec Niklas, Ewa apprenait à être celle qu'elle avait toujours été : une ombre. L'homme lui enseignait les rudiments de l'espionnage, de l'invisibilité. A être là sans y être, à apprendre les choses avant les autres, à s'en servir comme la plus puissante des armes. Manier une baguette devint plus dur que jouer la tapisserie de service, et Ewa se prit au jeu à une vitesse fulgurante. Ronronnante sous ses caresses, se pavanant sous ses regards de braise, l'enfant devint marionnette d'un homme solitaire qui ne trouva mieux qu'une adolescente pour obéir à ses ordres. Peu à peu, Ewa développa une conscience politique, s'investit pour la cause mêlée : les sang-pur n'avaient aucune raison d'avoir le pouvoir total et complet sur eux. Son activité de fabricante et trafiquante de drogue démarra un peu, lancée par les fréquentations de Niklas qui se fit une joie de la manipuler davantage en passant pour le bon samaritain près à l'aider dans sa quête de fortune. Et elle, pauvre gamine prête à tout pour exister dans les ténèbres, se laissa avoir par le prince de son monde. Chaque jour qui passait, son cœur flanchait davantage pour cet homme qui aurait pu être son père. Elle était perdue, et il n'y avait bien que sa sœur aînée pour le voir et chercher à la sortir de là. Ses parents, eux, avaient lâché la rampe. Ils avaient beau la voir rentrer chaque soir et claquer la porte sans daigner les saluer, leur préférence allait aux deux derniers qui montraient plus de bonne volonté qu'elle à mener une vie correcte. Le comportement et les idéaux d'Ewa terrifiaient, étaient un sujet tabou. Comment une famille de lumière avait-elle pu engendrer un être qui cherchait les ténèbres ? Pourtant, jamais elle ne leur aurait fait de mal. Pas sciemment. Pas comme Jurich, qu'elle n'aimait pas vraiment. Jurich, dont le secret finirait un jour par être découvert.