Il mord ses lèvres. La main de son bourreau s'agite dans les airs. Son souffle devient flamme. Ses narines se dilatent et l'odeur de la forêt prend place dans chaque recoin de ses petits poumons. Panfilo est si jeune, ses petits genoux sont rouges des guerres dans les bacs à sable. Il porte le petit costume d'écolier aux coutures impeccables. L'écusson de son respectable patronyme étincelle dans les reflets des flaques sous ses pieds. La main de son bourreau prend force dans ses mèches rebelles. Panfilo, lui, effleure les tessons de verre au sol du bout de son index. Cette fiole qu'il avait volé dans le cabinet de sa mère. Ce doux parfum qu'il voulait emporter partout avec lui. Une fiole brisée sur le chemin de retour. « Porte les à ta bouche. », lui ordonne t-il. Le jeune italien tente de résister. La pouvoir face à lui est trop grand. Le trentenaire derrière lui, offre ce sourire désarmant. Un sourire qui va à l'encontre même de sa demande. Cette demande cruelle et injuste. Panfilo termine par ramasser le bout de verre. Il le soulève lentement le morceau de verre pour le porter à sa bouche. « Je ne veux » , commence l'enfant. « Je ne veux pas ...» La main de l'aîné agite ses doigts sur le front suant du chérubin. Le sang des Monaci coule dans leurs veines. Ce pouvoir inéducable. Fatal.  « Qui t'a dit que tu avais le choix ? Tu commences à m'ennuyer et tu sais ce qu'il se passe quand je m'ennuie ? » chante l’aîné d'une voix claire comme la petite rivière qui clapote paisiblement à quelques pas d'eux. Le morceau de verre se pose contre les lèvres du jeune italien. Un filet carmin roule jusqu'à son menton. Panfilo pousse un petit cri plaintif. Cependant, il ne pleure pas, car il sait que cela ferait trop plaisir à son tortionnaire. Lui, aussi un jour, il sera puissant et c'est lui qui apportera douleur et hurlement sur son passage. Jamais plus il ne souffrira et chacun paiera pour ces moments. Tous !

Elle lui sourit. Ses magnifiques cheveux ondulent comme une cascade d'étoiles filantes le long de ses épaules. Le jeune italien n'a que quelques années de plus et pourtant il a déjà bien grandi. Elle sent les fleurs de lys et les grenouilles en chocolat de Marcveindeur. Un parfum que le jeune italien aime et pourtant c'est la voix de son père qui vient trancher le silence pesant avec ces mots : « Tu pourrais dire bonjour. Est-ce ainsi qu'un Monaci se comporte ? » Bientôt aidé par sa femme qui ajouta. « C'est normal qu'il soit timide. Ne l'étais-tu pas quand on t'a présenté à moi ? Tu n'étais pas plus vieux que Panfilo. » La foule explose de rire. Deux familles qui se sourient et qui se font des courbettes pour l'occasion. Les verres de champagnes sont levés. Les bruits des verres tintinnabulent. La petite fille, hésite, puis tend sa main vers le jeune italien. Celui-ci la repousse avec violence. Le bruit du claquement fait sursauter toute la pièce. La jeune fille va trouver réconfort dans les bras de sa propre génitrice.  « PANFILO MONACI ! Comment oses-tu !? » scande le doyen de la famille Monaci. Il attrape son fils et commence à l'agiter comme une poupée. « Vous n'avez pas entendu ? Je crois que le repas est servi. Venez. Je vous en prie. » clame avec ferveur Mme Monaci qui tente de sauver les apparences. La pièce se vide. Le père et son fils se retrouvent seul. Il n'y a plus que le bruit du bois qui crépite dans la cheminée qui occupe les longs silences. L'enfant n'a pas baissé les yeux. Les deux hommes se regardent avec fureur.  « Jamais je ne me marierais ! » proclame t-il. Son père offre un sourire carnassier à son fils. Il y a aucune douceur dans le regard de son géniteur. « Surtout pas avec une...» essaye t-il de continuer. Son père l'arrête d'un geste de la main. La magie crépite sous ses articulations. Le petit corps du jeune italien est propulsé en arrière. Sa tête heurte de plein fouet le mur en pierre de la cheminée. L'aîné ne semble même pas s'en émouvoir. « Crois-tu avoir le choix ? Sais-tu le sang noble qui coule dans tes veines ? » Panfilo essaye de se relever, mais son père en décide autrement. L'enfant retombe sur le tapis persan venu d'orient comme si la gravité se jouait de lui. « Qui t'a autorisé à te lever ? » questionne son père. Pourtant, Panfilo n'abandonne pas et essaye de se relever pour la deuxième fois. Ce sont les flammes qui viennent lécher ses joues qui arrêteront l'enfant. Les doigts de son père font danser les flammes autour des cheveux de son héritier. « Mon grand-père me disait toujours que nous étions devenus trop permissifs avec nos enfants. Il me racontait l'époque bénie où nous pouvions les punir à notre guise. Veux-tu fouler cette terre avec le visage brûlé ? » Les dents de l'enfant crissent de colère, cependant il ne répond rien. « C'est bien ce que je pensais. Maintenant, va présenter tes excuses à cette demoiselle. » Le jeune italien s’exécute. « Oui. Père. » Une soirée ordinaire chez les Monaci.

« Je t'interdis de me tourner le dos. Si tu sors de cette chambre... » hurle l'italien. Les années ont coulées sur lui : elles ont fait de lui un homme. Il traverse la pièce avec fureur, cependant il est déjà trop tard. Alekseï est déjà parti. Panfilo frappe la porte de son poing. Il expire avec énervement. Son torse nu s'agite sous ces impulsions. Les rayons de soleil par la fenêtre caresse doucement son corps musclé. La pudeur est le dernier vêtement qu'il aime porter. Son épiderme exhale encore les effluves de l'effort de deux corps enchevêtrés. L'italien se venge. Ses poings frappent chacun des objets sur son chemin. Sa chambre se transforme en champ de bataille et pourtant rien n'arrive à calmer sa colère. « Je vais t'apprendre à me quitter pour voir ta stupide femme... » grommèle notre italien. Il retombe sur le bord de son lit. Ses doigts se glissent sous les draps encore incandescent de leurs ébats. Il les porte à son visage. Il hume le parfum de son Lion. Panfilo n'a jamais aimé personne. Les corps de ses maitresses ou de ses amants ne sont que des jouets, que des pantins dédiés à ses amusements. Tomber amoureux, c'est poser un genou à terre et il a fait une promesse devant son dieu il y a bien des années de cela. Jamais il ne pliera devant personne ou pour personne. Surtout devant Aleksei, en tout cas, c'est ce qu'il se répète. Panfilo se relève et se penche vers le miroir sur sa commode. Ses doigts viennent prendre contact avec les marques laissées sur la fin de ses épaules. Son Lion a toujours été fougueux. Leurs rapports ont toujours été intenses, pour ne dire violents. L'italien s'empare de la coupe en cristal et en boit une longue gorgée. « Si tu penses que je vais laisser cet outrage impuni...Tu me connais mal... » ajoute t-il en lançant son verre au sol. Il est un Monaci. Il semble prêt à mettre le feu à cette ville, à mettre le feu à son Lion ou plutôt à sa femme. Une voix fluette arrive à s'échapper de la chambre jumelle à la sienne. « Calme-toi...Ne fais rien de stupide... » Panfilo voit sa colère s'envoler. un sourire s'échappe de son visage contrarié : c'est si rare. Il attrape ses draps et les passe autour de sa taille. Il marche jusqu'à la porte fermée à double tour. Une porte franchit par si peu de personne. Il la déverrouille et disparait derrière elle.

« Tu es réveillé ? » demande l'italien avec une voix qu'il n'offre qu'ici. Une voix douce et chaleureuse. Il agite ses doigts et les rideaux de la chambre font disparaître les ténèbres. Un corps se recroqueville sous les draps. « Tu sais que je préfère quand les rideaux sont tirés. » L'italien n'écoute pas les complaintes de cet adolescent qui se dissimule à lui. « Pourtant, il fait beau aujourd'hui. Si tu veux nous pourrions nous promener dans les jardins ? » Panfilo se pose prêt du corps qui préfère rester sous les draps de soie. L'italien trouve la tête de l'adolescent et la caresse avec une tendresse qui ne lui ressemble en rien. « Tu sais que père préfère que je reste dans ma chambre. Je suis un monstre. Je suis une honte pour cette famille. » Panfilo retire lentement les draps et le visage d'un enfant d'une pâleur lunaire apparaît. « Justement. Raison de plus de lui désobéir, Elzias. » Panfilo vient ébouriffer les cheveux de son plus jeune frère.  Elzias a toujours eu une santé fragile et cela malgré la magie, les herbes et autres breuvages. Il a toujours été le rejeté, sauf par une personne et celle-ci se trouve à côté de lui. « Je ne veux pas être encore puni... » supplie l'adolescent. Panfilo enroule ses bras protecteurs autour du plus jeune. « Je ne laisserais personne te faire du mal. » Quelle étrange scène. Personne ne pourrait y croire. Panfilo aurait-il un cœur ? N'est-il pas ce monstre que tout le monde déteste ? Elzias repousse son aîné. « Tu sens mauvais. » ajoute t-il en se pinçant le nez. « Tu n'aimes pas mon nouveau parfum ? » Les mains de l'italien viennent chatouiller les côtes du malade. Celui-ci s'agite et se trémousse. Un rire enfantin se fait entendre. Panfilo s'arrête quand du sang vient colorer les draps. Elzias porte une main à sa bouche, mais il est trop tard. Panfilo regarde avec inquiétude son jeune frère. Celui que ses parents confinent dans sa chambre. Celui-qu'on-ne-doit-pas-parler. Pourtant, il reste pour l'italien sa dernière part d'humanité. Il l'aime cet enfant. Il veut le protéger. Il peut être ce monstre, ce prédateur assoiffé de sang. Il peut faire souffrir et plier ses ennemies. Il peut se montrer cruel et sans remord. Cependant, derrière toutes ces portes, il a un cœur. Il y a un cœur qui peut aimer, un cœur de Lion qui ne demande qu'à rugir pour les justes et les valeureux. Pour ceux qui seront voir au-delà des apparences.