Elle pouvait encore sentir les griffures de la brosse dentée contre son cuir chevelu, une sensation mêlant l'agréable et le désagréable. Elle tenait désormais ladite brosse entre ses doigts de gamine et venait l'appliquer délicatement sur les cheveux d'un blond hypnotique de sa soeur jumelle. C'était devenu une routine pour les deux gamines, de se réunir toutes les deux sur le lit d'une seule, de se brosser les cheveux mutuellement comme une figure maternelle aurait du le faire. Mais c'était ce qu'elles faisaient, c'était leur petit rituel à elles, quelque chose qui ne vieillirait pas malgré le temps, l'icône matérielle d'un amour fraternel, passionnel. « Tu vois, j'avais raison. » dit-elle tout en gloussant d'un rire malicieux, elle ne cesse de brosser les cheveux de son double tout en passant ses doigts entre les cheveux blonds brossés, ils étaient doux, lisses, agréables comme l'avait toujours était Ania. « De quoi tu parles? » dit-elle de sa voix innocente, voix complètement différente de celle de Kasia qui se faisait toujours plus vive, presque agressive. Elle vint soupirer doucement, non pas un soupir d'exaspération mais plus un soupir admiratif, comme si elle s'était perdue dans cette admiration pour sa soeur qu'elle en avait oublié de respirer. Les deux Taborska avaient toujours été similaires physiquement mais tellement différentes intérieurement, deux opposés, le soleil et la lune, le jour et la nuit. Telles des aimants, elles étaient complètement similaires et pourtant vouées à se repousser infiniment, deux âmes et esprits différents pour deux corps similaires, Kasia trouvait cela d'une poésie si fine qu'elle en arrivait à être fascinée par ce qu'elle et sa soeur représentaient. « Tes cheveux, eux aussi ils sont magnifiques. » elle ne vit pas sa soeur et pourtant, elle sentit qu'un sourire s'était formé sur ses lèvres pulpeuses, un automatisme chez le soleil qui venait toujours illuminer son visage; au contraire de la lune qui elle, restait si discrète sur ses sentiments qu'elle en venait à parsemer sa personnalité par des traits excentriques sous lesquels elle se perdait petit à petit. « Mais bon, ne te fais pas d'idées, les miens seront toujours les plus beaux. » ajouta-t-elle tout en accompagnant ses paroles d'un rire ironique et qui pourtant, dissimulait une pointe de jalousie fraternelle. Ania était la première à être née, la première à être accueillie, la première en tout. Kasia avait toujours eu ce besoin pressant de se faire remarquer, de montrer que certes, Ania était la première à avoir vu le jour mais bien qu'elle soit née en seconde, Kasia aussi, était importante.


Deux miroirs identiques quand les deux enfants se débarrassaient de leurs artifices respectifs. Hormis leurs caractères diamétralement opposés, la seule façon qu'elles possédaient pour s'identifier était leurs manières antagoniques de s'habiller, se coiffer ou encore se maquiller. Lorsque l'une était plus discrète et jouait avec des teintes assez douces, l'autre se plaisait à jouer dans la provocation et le mystère. Les cheveux nouvellement tressés et le visage presque entièrement purifié, Kasia marchait dans les couloirs en essayant d'imiter la démarche de sa soeur jumelle, encore une nouvelle chose sur laquelle elles étaient complètement différentes; alors que le pas d'Ania se faisait calme et à une vitesse modérée, le pas de Kasia frôlait la marche rapide et son menton était complètement relevé. Un air détestable accroché sur ses traits si délicats. Ses yeux bleus azur venaient scruter les visages de toutes les personnes qu'elle croisait, des amis de son autre personnalité, des ennemis aussi. Tout était si différent lorsqu'elle se faisait passer pour sa soeur, et le plus impressionnant était que personne ne posait le regard sur sa personne d'un air intrigué lorsqu'elle était Ania, c'en était presque évident, qu'elles étaient si différentes, que personne ne les confondait jamais. Alors elle marchait, et ce semblant d'anonymat la rendait heureuse, comme si elle était seule, une solitude qui lui faisait du bien, de temps en temps.


Un sourire illuminait ses lèvres rosées, un rictus d'impatience, synonyme de rendez-vous quotidiens qui rythmaient ses soirées depuis quelques années désormais. Enfin, son téléphone portable -une technologie à laquelle elle avait eu du mal à s'habituer- sonna, et lorsqu'elle décrocha, la voix de son amant résonna dans l'appareil. À cet instant même, le rictus qui ornait auparavant ses lippes avait doublé et ses dents se dévoilèrent. Elle vint s'asseoir à un balcon de la demeure qu'elle partageait avec son mari, une hâte s'éprenant de son estomac, trahissant sa joie. Ces petits moments téléphoniques leur appartenaient, c'était ce qui les unissaient lorsqu'ils étaient séparés. Les minutes défilèrent sans que Kasia ne s'en rende vraiment compte, la lune était déjà haute dans le ciel tandis que les étoiles étaient vaguement visibles. Elle avait toujours aimé la nuit, Kasia, comme attirée par l'inconnu, le sombre, l'invisible, une facette de sa personnalité semblait étonnamment bien se fonder dans cette atmosphère de calme paisible mais effrayant. C'était comme si la nuit représentait ce qu'elle était, mystérieuse et effrayant lorsque l'on ne fait pas bien attention. Mais une chaleur inconnu vint briser son rêve, son idylle et lorsque la gamine se retourna, ses pupilles croisèrent d'immenses flammes dangereuses et impressionnantes. Elle lâcha son téléphone portable et ce dernier vint claquer contre le sol de marbre, un bruit froid et sec mélangé à une ambiance si brûlante et humide, insupportable. Lorsqu'elle entra de nouveau dans la demeure, ce fut comme si les flammes essayaient de s'attaquer à chaque parcelle de son corps, à tous ses membres. Ses traits étaient complètement déformés par la chaleur bouillonnante et la peur qui venait bruler ses poumons autant que son coeur. « Madame, il ne faut pas rester ici! » dit-une domestique tout en saisissant la Friedrich par les deux bras, c'était la première fois qu'une domestique posait ses mains sur elle d'une telle manière. Kasia n'eut pas le temps de réagir, si bien qu'elle fut entrainée par la force de celle qui la tirait vers elle. « Sortez! Je vous en prie, dépêchez vous! » on lui criait dessus, on lui donnait des ordres et pour une fois, Kasia s'exécuta s'en broncher. Sa respiration se faisait de plus en plus haletante et était dérangée par des toussotements dus à la fumée qui venait se loger dans ses poumons. Lorsqu'elle se retrouva dehors, elle manqua de s'écrouler sur le gazon et toussa pendant de bonnes minutes pour essayer de cracher toute la fumée qu'elle avait ingurgité. Ses iris vinrent se poser sur tout ce qui l'entourait et tout ce à quoi elle pouvait penser, c'était Felix, son mari. Lorsque la domestique qui venait de lui sauver la vie su la rejoindre en dehors des flammes envahissantes, elle vint la saisir par les épaules comme éprise d'une rage folle. « Nikola! » cria-t-elle, comme si elle s'adressait à lui en personne « Où est-il?! » ajouta-t-elle en agitant la domestique. Cette dernière su retenir un sanglot et se pinça les lèvres comme si elle voulait s'empêcher d'ouvrir la bouche. « Je suis vraiment désolée. J'ai fais tout ce que j'ai pu. » ajouta-t-elle soudainement, les yeux remplis de larmes. Et soudain, ce fut comme si tout autour d'elle s'écroula. Ses yeux se replissèrent de larmes et ces dernières ne tardèrent pas à s'écouler sur ses joues tachées de suée. Puis elle pensa à Ania et elle éclata en sanglots, il était mort, mais elle savait que le coeur de sa soeur aussi allait mourir avec lui, et c'était ça qui lui faisait le plus mal.