Je suis née sous la Rose. Ce n’est pas une simple phrase bâton. Pour certain cela paraît dingue, d’autres me haïssent parce que le destin m’a posé là, mais je suis irrémédiablement reliée à cette fleur. La plus belle de toutes il paraît. La Rose… Aussi belle que piquante. Elle fait couler le sang. Ma famille ressemble tellement à cette fleur, belle d’apparence, piquante lorsqu’on s’approche de trop près. Nous sommes les Rosenwald, tout le monde a entendu notre nom, tout le monde sait qui nous sommes. Beaux et puissants. Beaux et piquants. Les gens n’imaginent pas combien c’est parfois compliqué d’assumer un nom, une image. J’aimerais être l’un de ces magiciens qui peuvent échanger leur apparence à leur guise. Pouvoir savoir ce que tout le monde pense de nous, les véritables pensées par seulement celles que l’on entend en face, celles-ci sont souvent les plus fausses après tout. Ce monde est pourri par les mensonges et les secrets et croyez-moi, je suis sûre que ma famille fait partie ses personnes qui ont une liste de secrets longue comme le rouleau manuscrit de Sur la Route de J. Keriouac. Je ne dois pas en connaître un tiers forcément, mais je dirais que ces choses-là se sentent. On ne me dit pas tout. C’est mieux comme ça, je n’ai pas besoin de savoir ce qu’ils trafiquent, je ne veux pas avoir à les détester pour des actes regrettables. Je les aimes dans l’ignorance, c’est parfait. On sourit plus facilement en public lorsque l’on ignore les choses, c’est naturel, je ne sais pas jouer la comédie en grande pompe.

J’ai un tas de souvenirs de mon enfance. Je revois ma sœur pâle, plus que nous tous, ses longs cheveux bruns ternes lui retomber sur les épaules. C’était le Noël juste après la mort de Père, nous étions dans le grand salon et l’odeur du feu de cheminée, mêlée à celle de la cannelle des biscuits que nous avions faits Serena et moi est gravée dans ma mémoire. Je revois les jumeaux qui m’entouraient moi et ma petite sœur. J’aurais aimé moi aussi avoir une jumelle mais j’avais ma grande sœur. Même si au plus loin que je me souvienne elle a toujours été faible et malade, elle a toujours été ma préférée. J’aimais qu’elle me lise des histoires, je m’installais contre elle et elle lisait mes histoires préférées, elle mettait le ton et faisait toutes les voix, j’adorais. Ce Noël je m’en souviens parce que j’ai reçu de sa part un carnet magnifique, elle pensait que je pourrais dessiner dedans, ou écrire, c’était au choix. J’étais jeune, peut-être 7 ans. Le carnet était tellement beau que je n’ai pas osé l’utiliser. Il est resté en devanture sur ma petite bibliothèque, je l’admirais sans oser la salir de mes créations. Je me souviens parfaitement de ce jour parce que c’est ce cadeau qui a fait de moi l’artiste que je suis aujourd’hui.

Ma sœur est morte un an après. C’était le dernier Noël que j’avais passé avec elle. Pour moi Noël c’est toujours la fête car je suis née un jour après la naissance potentielle du Christ, le 26 décembre, j’avais toujours une pile monumentale de cadeaux en l’espace de deux jours. Serena m’a affreusement manquée, aussi bien pour Noël que pour mon anniversaire. Il fallait que je grandisse et que je sois forte, c’est un critère important dans la famille. On avait perdu Père, il fallait que j’avance de la même manière avec ma grande sœur. Ma mère me disait de ne pas pleurer, de garder la tête haute et de ne montrer à personne combien cela faisait mal de perdre un être cher. Elle voulait me préparer à la vie des Rosenwald, je ne lui en veux pas, sans ce qu’elle m’a dit, sans cette éducation stricte, je ne brillerais pas autant je suppose. J’adore ma mère pour sa force et son courage, elle règne d’une main de force. Mais depuis toujours je la crains parce que je crois qu’elle est capable du pire. Si je devenais gênante pour elle, que ferait-elle ? Je n’ai jamais la certitude qu’elle accepterait que je lui nuise. C’est sûrement pour cela que je me suis rangée et que je n’ai pas cherché à faire de vagues.

Alors je n’ai pas vraiment pu pleurer pour la mort de ma sœur. Aujourd’hui encore je ne pleure pas, pas vraiment, pas en public, rarement. Je ressens bien la douleur, n’allez pas croire que je sois sans cœur mais personne n’a le droit de voir ce sentiment-là. A la suite d’un Noël et d’un anniversaire sans ma sœur, j’ai ouvert le carnet qu’elle m’a offert et je l’ai rempli. J’ai commencé à lui raconter mes sentiments à lui dire combien je me sentais seule sans elle, à lui parler de l’école, à tout lui dire dans ce journal, c’était comme me livrer à elle. Quelques jours avant sa mort elle m’avait offert son collier, je ne le quitte pas, j’ai commencé à dessiner quelques personnages dedans. Serena a ouvert le passage en moi qui conduisait jusqu’à l’artiste que je suis aujourd’hui. Voilà pourquoi je vis parfois dans le passé, dans le souvenir d’une sœur que je n’ai pas assez connu, je n’ai pas assez profité d’elle, elle me manque toujours, sur les photos, on se ressemble… j’espère qu’elle est fière de moi. Encore de nos jours, je remplis des carnets similaires au sien en tenant un journal pour elle, pour lui raconter ce qui se passe dans ma vie.

Je crois que les gens ne savent pas vraiment ce que cela implique d’être une Rosenwald. Certains nous adulent, nous sommes ceux au sommet et ils nous soutiennent, on est vu comme une famille princière. On exige beaucoup de nous. Je me souviens de mes années suivant la mort de mes proches à l’école. Je n’étais pas la fille la plus appréciée de ma promotion. Je me sentais affreusement seule, enfaîte c'est probablement parce que je l'étais totalement. Je crois que je n’étais pas non plus la détester mais j’avais des ennemis, des ennemis de noms. Ma famille en a toujours traîné et je me suis retrouvée avec des gens qui ne partagent pas les idées de ma mère. Comment expliquer à des gamins que je n’y suis pour rien. J’étais à la fois la fille de la femme qui gouverne le pays d’une main de fer et la petite intello, les personnes qui m’entouraient devaient penser que je me pensais supérieure, cela n’a jamais été le cas. S’ils avaient tous pris la peine de m’écouter je crois qu’ils auraient pu voir en moi une fille différente. A Goldadler ma meilleure amie restait la solitude et la bibliothèque. Je m’y réfugiais pour ne pas subir les réflexions des jeunes qui ne se rendent pas compte combien une critique infondée peut devenir torturante. Il ne faut pas croire non plus que je n’avais pas d’amis, bien sûr que je faisais partie d’un petit groupe, ceux qui ressemblent à ma famille, mais est-ce qu’ils me ressemblaient vraiment ? Je ne sais pas, je ne me suis sentie à ma place nul part. Peut-être que je ne l’ai pas encore trouvé. Vous savez cette voie, le chemin, mon avenir ? Pourquoi ne pas naître avec un GPS incorporé ? La vie en serait trop facile et nos dieux ne s’amuseraient sûrement pas assez à nous voir en baver de la sorte. En tout cas je fus soulagée de quitter l’école de magie et fière d’avoir été la meilleure élève de ma promotion. Je me souviens encore du discours que j’ai dû tenir. La fierté de mes proches dans l'assemblée qui applaudissait. Je n’ai pas continué les études dans la magie, j’avais besoin d’air. Berlin est une ville d’art alors c’est tout à fait ce dont j’avais besoin, l’université, ne pas pratiquer la magie quotidiennement, bien que maintenant nous n’avons plus à nous cacher depuis longtemps, j’ai mis de la distance avec ce que je suis. J’ai tenté de me trouver, j’y suis un peu parvenue, l’art est ma passion, j’aime regarder une peinture autant que j’aime faire glisser mes doigts sur une toile avec de la peinture à l’huile et dessiner ce qu’il se trouve dans mon esprit. J’aime écrire aussi, je suis sûre qu’un jour je pourrais publier un livre, soit pour enfant avec mes illustrations et mes mots, soit juste un roman. Ma tête regorge d’histoire qui pourraient bien intéresser le monde qui sait.

Je crois que je continue à suivre mon chemin. Ce trajet qu’on nous demande de suivre vous savez, oui oui toujours le même. Je crois que je suis sûre la bonne voie pour le moment, alors oui, il est sûr que je dois faire des détours et que je me perds régulièrement mais tous les chemins mènent à Rome. Pour me guider, pour ne pas me perdre j’ai mes proches. Mes frères sont toujours là. Ma mère aussi d’ailleurs, tout doit être impeccable dans notre famille. Mes frères me guident lorsque ma mère me dit quoi faire, ce n’est pas toujours facile de suivre la volonté de ses proches. On s’égare tous… c’est là vraiment que je veux en venir. Je ne me suis pas rendue compte que je dérivais. J’étais totalement ailleurs. Je l’aimais, l’amour nous fait faire tellement de bêtises. Adrian m’a rapidement charmé. Je me souviens de notre rencontre, le genre de rencontre dont tout le monde rêve. J’étais dans un bar animé du centre de la ville avec quelques amis, qui eux espéraient bien caser, j’étais leur cas désespérée, une Bridget Jones en devenir. Il m’a offert un verre, je n’ai pas osé le boire tout de suite, c’était la première fois qu’un homme osait me séduire. Mon nom de famille a fait fuir tous les autres qui ont posé les yeux sur moi. Poussée par mes amis, j’ai bu le cocktail sucré que j’ai adoré. Je sentais son regard me brûler la peau, ce n’était ni désagréable, ni plaisir, je me sentais bouillir de l’intérieur. Je ne sais pas si c’était parce qu’Adrian a été le premier à briser la coquille de mon coeur, mais quand je repense à son regard sur moi, je frissonne. Il s’est décidé à quitter ses amis à lui pour m’inviter à danser. J’étais très mal à l’aise au point de ne pas réussir à le regarder dans les yeux et de rougir dès que je sentais son souffle dans mon cou. Il a obtenu mon numéro de téléphone mais pas plus, pas question qu’on prenne une photo de moi compromettante de ce genre de situation en public. Il m’a bien envoyé un message le lendemain, je n’ai pas répondu par timidité, je n’ai pas non plus répondu au deuxième… il m’a appelé et j’ai décroché en prenant mon courage à deux mains et le soir il m’invitait à dîner. Je ne sais pas pourquoi je suis tombée amoureuse aussi vite. Mon coeur avait envie de croire que c’était un coup de foudre, deux âmes sœurs qui se retrouvent, je ne sais pas, j’y ai cru. Ma famille n’était pas au courant, je n’ai pas voulu m’étaler, je ne voulais pas qu’on me juge, cet homme n’était pas de leur monde et je sais qu’il n’aurait pas été accepté, il n'était pas à la hauteur pour eux... J’ai vécu un rêve éveillé avec Adrian. Il était l’homme parfait pour moi, j’adorais passer du temps avec lui. Notre relation a duré un an, un peu plus, je n’ai pas vu passer cette année, j’imaginais sûrement que j’aurais la vie entière à ses côtés. Pourtant le destin a décidé qu’il était tant de prendre à nouveau une personne que j’aime. Adrian est décédé dans un accident de voiture. La police n'a jamais vraiment expliquée les circonstance, elle m’a simplement appelée, j’étais le dernier numéro composé sur son téléphone. Ils m’ont demandé de venir pour reconnaître le corps. J’y suis allée seule. J’aurais dû demander à une personne de venir avec moi, pouvoir serrer la main d’un de mes frères aurait tout changé. Au lieu de ça, mon coeur a reconstruit sa coquille et il a fait en sorte que celle-ci soit bien plus dure à briser, pas question d’avoir encore mal. Je me suis voilée la face pendant des semaines, refusant de pleurer, je ne voulais pas qu’on me voit dans cet état, mais une nuit j’ai craqué, j’ai passé des heures à laisser mes émotions sortir, j’en étais épuisée. Personne ne l’a su, enfin pas que je sache. Personne ne m’en a jamais parlé. Ma vie a repris, une vie emplie de doutes et de secrets. Je sais que ma mère m’a trouvé un époux, j’aurais dû la laisser faire, me marier au plus tôt avec cet homme pour ne pas souffrir du sentiment amoureux. J’ai été faible. Ce n’est pas tellement digne d’une Rosenwald, c’est peut-être pour cela que je n’ai pas voulu en parler à mes frères, j’ai peur de lire dans leurs regards la déception.

J’ai avancé, continuer. J’avance dans ma vie, de façon bancale il n’y a pas de doute. J’ai presque terminé mes études, presque avancée. Ma vie est pleine de doutes. Je doute de tout mais j’aime les gens qui me font douter, cela est compliqué. La mort de mon père par exemple, lorsque l’on y réfléchit, elle a eu lieu au bon moment. Je sais qu’il était malade depuis des années, que rien n’a pu y faire. Je trouve cela un peu opportuniste de la part de ma mère qu’elle ait pris le pouvoir. Parfois mon intuition me souffle dans l’oreille qu’elle l’a orchestré, qu’elle voulait le pouvoir et maintenant qu’elle l’a, elle n’est pas prête de le laisser. Pourtant on sait que Luis est l’héritier, alors est-ce qu’elle sera capable de lui céder la place ? Je ne sais pas quoi en penser, j’aimerais en savoir plus, connaître la vérité mais ne sera-t-elle pas trop lourde ? Découvrir des choses noires sur sa famille … on ne peut pas dire que ce soit fantastique et facile à encaisser. Je suis perdue, est-ce que je les connais bien finalement ? C’est moins sûr.

La seule chose de pleinement douce et belle dans cette famille reste mes nièces. Mes frères ont eu chacun une fille. Je suis totalement amoureuse de ses petites princesses. Elles sont magnifiques, toutes les deux ressemblent un peu à leur père. C’est plus fort que moi, j’adore les gâter, passer du temps, les avoir dans les bras. Oh elles sont été un tel réconfort après la mort d’Adrian, elles m’ont permises de sourire et non pleurer devant ma famille, j’ai pu cacher mon secret et mon chagrin. Elles grandissent bien trop vite, j’ai du mal à me dire que cela sera bientôt à mon tour d’être maman. Mère a planifié mon mariage. Il est plus âgé mais forcément il est pur et vient d’une famille alliée… le parti parfait. Je ne l’aime pas mais je n’ai pas le choix, ce mariage ne me dérange pas plus que cela, bien qu’il m’effraie, j’ai peur d’être malheureuse, enfermée. Je ne veux pas partir de Berlin et perdre ma liberté. Le mariage semble avoir un tas d’inconvénient que ma famille elle ne voit pas. Parfois je me demande si je suis née dans la bonne famille… être une Rosenwald c’est bien, malgré tout c’est une sacré pression, est-ce que je suis taillée pour ? Je veux l’être. Je ne veux pas être une déception. Jamais.