let them think your are weak
Ses pieds nus foulaient le parquet froid du manoir, et ses pas, aussi silencieux qu’un murmure, la conduisant jusqu’aux grandes portes vitrées, encore entreouvertes en cette nuit d’été chaude et humide balayée par un vent léger. Se faufilant dans la noirceur de cette nuit entamée depuis de nombreuses heures, la jeune louve s’éloigna pas à pas du manoir, s’enfonçant dans les sentiers à l’abandon de ce qu’était autrefois l’une des fiertés de la maison. L’endroit dégageait désormais une tout autre atmosphère, plus lugubre, moins accueillante, mais rien pour retenir les ardeurs de la jeune Wolffhart, qui appréciait y mener nombres de ses explorations nocturnes. Une vilaine habitude que ses parents tentaient, en vain, d’éradiquer. Sans grand succès. « Ça lui passera, en vieillissant. » avait affirmé son père, un jour. Les hivers passaient, l’enfant devenait doucement une adolescente, mais ces escapable de disparurent pas. La témérité venait avec l’âge, tout comme la curiosité, et Liesel n’y échappait pas. Les jardins ne lui suffisaient plus, désormais. La forêt qui se cachait derrière l’attirait dans ses filets, et même les longs hurlements que le vent lui soufflait à l’oreille ne la dissuadaient pas. Elle avançait, sans jamais s’arrêter, sans même se soucier des fines branches qui laissaient leur marque sur ses jambes dénudées, ou de celles qui s’accrochaient après sa fine robe de nuit. Elle s’enfonçait, toujours plus profondément, dans ce territoire sauvage, inconsciente des regards, tapis dans l’ombre, qui la scrutaient avec attention et qui ne manquaient rien de ses faits et gestes. Son seul but : atteindre cette clairière, ce lieu devenu, par la force des choses, son repère, sa tanière. Mais son corps se figea bien avant qu’elle n’y parvienne, son regard captant à quelques mètres de là le curieux spectacle qui s’offrait à elle. Une meute de loups. Petite, visiblement affaiblie, mais belle et bien vivante. Elle s’arrêta presque de respirer, de peur que sa présence soit remarquée. De peur de troubler le calme de cette assemblée. Elle osait à peine bouger, figer devant tant de beauté. Pendant un moment, elle pria même, ses pensées tournées vers sa déesse, la Louve, qui daignait lui offrir ce présent.  Une prière écourtée par un grognement à proximité,  et cette vision de dents acérées prêtes à attaquer. La panique s’empara d’elle, mais elle ne devait pas laisser percevoir sa peur : la bête le ressentirait. N’était-ce ce qu’on lui avait appris à Goldadler? Sa voix douce rompit le silence de cette nuit. « Shhhh, je ne te veux aucun mal. » qu’elle murmura, tantôt pour se rassurer, tantôt pour calmer l’animal. En vain. Le loup s’avança, et Liesel recula de quelques pas. Plus il continuait son approche, et plus la jeune fille tâchait de se replier sans toutefois brusquer la créature favorite de sa déesse vénérée. Et quand elle chuta vers l’arrière, son pied coincé par un racine vicieuse, la crainte s’accentua, et Liesel se jura que si elle s’en sortait, cette fois, ça serait la dernière fois. Plus jamais elle ne défierait l’autorité de ses parents.  Son seul espoir, elle le plaçait en sa foi inébranlable, incapable de croire que la Déesse l’abandonnerait dans ce moment d’impuissance. Le loup s’approcha d’elle, et il était si près d’elle que la jeune Wolffhart pouvait sentir le souffle de ses narines contre sa peau, alors qu’il humait son parfum, l’étudiant sous toutes ses coutures. Lorsqu’elle daigna ouvrir ses yeux à nouveau, son regard fut plongé dans celui de cette bête de la nuit, dans lequel la lune se reflétait. Doucement, d’un geste d’une lenteur calculée, sa main s’approcha du pelage de l’animal, et elle pouvait presque le toucher du bout de ses doigts quand, soudainement, l’animal fut projeté une dizaine de mètres plus loin. « LIESEL ! Bon sang, Liesel, qu’est-ce qui t’as pris ! » L’homme s’approcha d’un pas rapide vers sa nièce, et en quelques à peine, la libéra de sa position fâcheuse, l’aidant à se remettre sur pied, secouant les saletés qui osait couvrir la maigre tenue de sa jeune protégée. « Les loups sont des animaux dangereux, combien de fois faudrait-il te dire de ne pas t’aventurer dans cette forêt? » La jeune fille baissa les yeux vers le sol, mais son oncle la força à le regarder, soulevant son menton d’un geste brusque. « Promets-moi. Promets-moi que ceci ne se reproduira plus, et je ne glisserai pas mot de cet incident à ton père. » Ne s’était-elle pas fait cette même promesse, quelques instants plus tôt? Bien à contrecœur, il était pourtant venu le temps pour elle d’honorer ses dires. Mais elle regretterait ses sorties nocturnes. À jamais.  « Je le promets, mon oncle. » Acquiesçant à ses propos, considérant sa parole comme acte de foi, il consentit afin à la ramener au manoir. D’une main paternelle, il l’attrapa par l’épaule, fermement, mais sans la brusquer, afin de s’assurer qu’elle ne file pas entre ses doigts. Une idée qui ne traversa, en aucun moment, l’esprit de Liesel. Elle avait eu sa leçon.


and do what wolves and fire do best
La créature solitaire qui errait dans les couloirs de l’académie de magie ne pouvait être nulle autre qu’elle. Elle était presque devenue une légende urbaine, parmi les élèves de Goldadler. Une ombre dans la nuit, un fantôme qui hantait les lieux de par sa présence discrète, presque invisible. Les surveillants avaient renoncé à la punir, faute d’être incapables de l’accuser de ce méfait inoffensif dont ils n’avaient jamais été témoins. Seuls quelques étudiants pouvaient se venter d’ainsi avoir pu l’observer en action, mais ils le faisaient en petit comité, par crainte d’être réprimandé à leur tour d’avoir ainsi manqué au couvre-feu. L’orage grondait dans le ciel anglais, ce soir-là, étouffant le moindre de ses pas. Ses talons claquaient sur le parquet, mais elle s’en souciait guère, pour le peu qu’on le remarquait, étouffés par le bruit du tonnerre qui faisait vibrer la terre. Nerveusement, elle scruta d’un geste vif ses arrières. Elle cherchait à fuir, à s’échapper. Elle en avait trop vu, trop entendue. Elle remarqua à peine le sorcier qui l’attendait au détour du couloir, le percutant de plein fouet. Elle serait tombée, s’il ne l’avait pas rattrapé. Maigre consolation. « Tiens, tiens, si ce n’est pas une petite louve solitaire. » Cette voix, Liesel la reconnut. Elle l’avait entendu, dans cette conversation qu’elle avait épiée, quelques minutes auparavant. Pourtant, dans cette presque obscurité, elle parvenait mal à identifier son assaillant. Elle ne cherchait qu’à se défaire de son emprise, son corps rejetant complètement le toucher de cet étranger. L’envie de grogner, comme un loup, lui traversa l’esprit, mais elle s’abstient. Atteinte de folie, elle deviendrait aux yeux de ses camarades, car ici, les racontars avaient la vie facile. Sa famille, déjà méprisée, n’avait pas besoin de se voir ainsi entachée. Des pas se firent entendre derrière elle, annonçant l’arrivée imminente de son poursuivant, et, dans un geste précipité, ce dernier l’arracha aux mains de son compagnon pour la coincer contre le mur de pierre, où sa tête alla cogner durement. « C’est un vilain défaut que d’écouter les conversations des autres. Saleté de loups, votre race aurait dû exterminer quand ils en ont eu l’occasion. » Un frison de peur lui glissa tout contre l’échine. Mais elle ne la courba pas. Elle n’était plus cette gamine craintive. Son assaillant, la maintenant toujours aussi fermement contre le mur, remonta l’une de ses mains jusqu’à son cou, qu’il caressa du bout des doigts. « Pourquoi ne pas commencer avec toi, hm. »  Les cinq doigts se referment autour de sa gorge, et bientôt, le souffle lui manqua presque. Elle se devait d’agir, et vite. Sa magie était pourtant loin d’être aussi puissante que d’autres, et seule, aucune chance de s’en sortir. Pourtant, elle n’avait besoin que d’une distraction. Qu’un bref moment d’inattention afin qu’il ne relâche son emprise sur elle, lui permettant de fuir. Puissant dans les quelques énergies qui lui restaient encore, Liesel tâcha de blesser son adversaire, et il fallut quelques secondes – qui lui semblèrent bien longue – avant qu’un hurlement de douleur ne s’échappe des lèvres du sorcier. Il arracha sa main du cou de Liesel, comme si on l’avait brûlé à vif. Il n’avait fallut pas plus pour que la belle retrousse chemin et s’enfuit, s’éclipsant à la vue des deux garçons, qui, stupéfiés, observaient la main de l’agresseur où étaient visibles les marques d’une morsure similaire à celle des loups.


surprise them when they least expect it
Une voiture l’attendait, stationnée devant l’entrée du manoir familiale. Un chauffeur, vêtu en circonstances, s’affairait à ranger ses nombreuses valises à l’intérieur de l’habitable, alors que la jeune femme offrait ses derniers mots à sa famille avant le grand départ. Près d’elle, un homme de confiance de la famille, un sang-mêlé de son statut, veillait. Il assistait à cette scène dans un silence respectueux de tradition. Liesel avait en lui une confiance absolue, et une affection toute particulière. Il était son mentor, celui qui lui avait tout appris, une véritable encyclopédie du savoir. Et aujourd’hui, elle quitterait l’Allemagne avec lui pour l’accompagner dans une période de découverte et d’apprentissage qui les mèneraient bien loin des siens. « J’ose espérer qu’à ton retour, nous pourrons enfin célébrer ton union, ma chère fille. Il est tant que tu honores ta famille. » Si sa mère avait eu son mot à dire de cette situation, jamais elle n’aurait toléré que sa fille parte ainsi en compagnie d’un homme qui n’était pas son propre époux. La crainte que sa jeune louve puisse se souiller avec un impur l’inquiétait, mais son mari s’était montré rassurant. Jamais l’homme n’oserait. Sa famille servait les Wolffhart depuis des siècles, et il savait le prix qu’il en couterait de les trahir. « Oui, mère. » Elle embrassa sur les deux joues sa génitrice, lui faisant une légère accolade même si elle maitrisait ce genre de marque d’affection, puis elle s’éclipsa rapidement vers son père, qui la sondait d’un regard posé. « Sois prudente, Liesel. » Il n’ajouta rien de plus, jusqu’au moment où il se pencha vers elle avait de lui donner un baiser sur le front, une des rares marques d’affection qu’il avait à son égard. « N’oublie jamais d’où tu viens, et garde l’œil ouvert. On ne sait jamais sur qui ou sur quoi on peut tomber. » La louve acquiesça, consciente qu’elle se devait d’être vigilante. Ses séjours exploratoires à l’étranger n’avaient toujours été qu’un prétexte pour enquêter sur les dossiers de son père, et veiller au grain à rapporter à ce dernier tout ce qu’elle pourrait bien trouver. Elle servait ainsi les intérêts de son paternel et ceux de sa famille. Le risque était grand, certes, mais ce jeu dangereux en valait le coup. Et elle était prête à faire ces sacrifices afin d'avoir cette chance, même infime, de redonner la gloire d'antan aux siens.